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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/337

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promettait de nouvelles merveilles, mais nous résistâmes à ces réductions tauromachiques. Nous étions, du reste, impatients de visiter Cordoue et sa mosquée ; aussi fallut-il nous résigner à dire adieu à la Giralda et à Séville l’enchanteresse, la encantadora Sevilla, noble et riche parmi les premières cités d’Europe, la sal de Andalucia — la grâce de l’Andalousie, que Calderon a aussi appelée gala de las ciudades. Un espagnol plus illustre encore, l’auteur du Quijote, a chanté Séville, cette Rome triomphante pleine d’intelligence et de richesse :

 « Roma triunfante en ànimo y riqueza. »

On n’en finirait pas si on voulait citer tous ceux qui ont vanté la capitale dont le Guadalquivir arrose les antiques murailles :

« Por muy largo que fuera su elogio, dit le savant Aldrete, siempre se quedaria corto ! « On aurait beau s’étendre sur ses louanges, on serait toujours trop court ! »

Cependant, nous ne voulûmes pas quitter Séville, sans avoir visité les belles Haciendas des environs, vastes bâtiments rustiques qui servent à la fabrication de l’huile produite par les olivares, ou plantations d’oliviers qui occupent les vastes plaines situées entre Carmona et Alcalá. Au point de vue pittoresque, l’olivier est un arbre triste, gris, et dont l’effet n’est pas heureux dans le paysage : ce qui contribue encore à rendre son aspect plus froid et plus monotone, c’est que les olivares sont toujours plantés avec une régularité et une symétrie parfaites ; cet usage est tellement absolu que le verbe olivar s’emploie lorsqu’il s’agit de planter des arbres quelconques en ligne droite.

Les aceitunas sevillanas, très-recherchées aujourd’hui dans toute l’Espagne, étaient célèbres dans l’antiquité, et les gourmets romains faisaient venir pour leurs festins les olivæ bæticæ. Pline le Jeune, pour décider un de ses amis à accepter son dîner, lui promettait de lui servir des olives d’Andalousie.

Les olives les plus renommées aujourd’hui sont celles qu’on nomme aceitunas de la reina : elles sont de forme ovale, et dépassent quelquefois la grosseur d’un œuf de pigeon. Les zorzaleñas, au contraire, appelées ainsi du nom d’une espèce de merle qui en est très-friand, sont rondes et de la grosseur d’une cerise. En Espagne, les olives se mangent ordinairement à la fin du repas, et on dit familièrement d’une personne qui arrive au dessert qu’elle arrive aux olives ; llega à las aceitunas. Les Espagnols, qui sont toujours sobres, le sont surtout quand il s’agit d’olives : Aceitunas, dit un proverbe bien connu, una es oro, dos plata, y la tercera mata : une, c’est de l’or ; deux, c’est de l’argent, et la troisième vous tue. Suivant un autre proverbe, si les olives sont très-bonnes, on peut aller jusqu’à la douzaine : Aceituna, una ; y si es buena, una docena.

La récolte des olives, ou aceitunada se fait dans toute l’Andalousie en automne, comme dans nos provinces méridionales ; les paysans, aidés de leurs familles, recueillent le fruit dans des cofines de jonc, et en chargent ces beaux et vigoureux ânes d’Andalousie, qui portent facilement, nous assura-t-on, leurs seize arrobas (plus de 200 kilogrammes). On met les olives, avant de les presser, dans une vaste pièce qu’on appelle la truja, et l’huile est déposée dans de grandes tinajas de terre qui rappellent les amphores romaines, et qui se fabriquent à Coria del rio, à trois lieues de Séville. L’huile d’Espagne a chez nous une triste réputation, et inspire d’ordinaire une certaine répugnance aux étrangers ; les Espagnols, au contraire, la préfèrent à la nôtre et à celle d’Italie, dont le goût leur paraît trop fade. Laissons la question indécise, car c’est affaire de goût. Nous ajouterons seulement que Saint-Simon, dans ses Mémoires, est loin de se montrer partisan de l’huile d’Espagne.

Comme la Huerta de Valence, les environs de Séville ont aussi leur naranjales : c’est à l’époque où l’on cueille les olives que les oranges commencent à prendre leur couleur d’or ; celles de Séville, quoique moins estimées que celles de Valence, de Mayorque et de Murcie, sont quelquefois excellentes, et on en expédie une grande quantité en Angleterre.

Nos visites aux haciendas et aux olivares terminées, le moment était venu de dire adieu à Séville : nous nous dirigeâmes donc, non sans regret, vers la gare du chemin de fer, située entre la Puerta de Triana et la Puerta Real. À mesure que le convoi s’éloignait, les clochers de Séville disparaissaient peu à peu à l’horizon ; longtemps encore, cependant, nous pûmes voir la Giralda et sa statue de bronze se détacher sur le ciel, dorée par les rayons d’un soleil matinal. Quand nous cessâmes d’apercevoir la vieille tour arabe, le train longeait encore le Guadalquivir : les bords du fleuve étaient garnis de gamins à la peau bronzée qui, au moment où nous passions devant eux, se jetaient à l’eau comme une nuée de grenouilles. Nous n’aperçûmes, il est vrai, sur le sable d’or du fleuve qui baigne la cité impériale, aucune des Nymphes du Bétis chantées par le poëte :

Ninfas del Betis, que en arenas de oro
Undoso baña la Imperial Sevilla.

En revanche, les bords du Guadalquivir, garnis de la plus splendide végétation, sont encore aujourd’hui tels que les dépeint l’auteur de Guzman d’Alfarache : nous y admirâmes « ces jardins fertiles remplis de fleurs, qu’on peut appeler un paradis, si quelque endroit de la terre mérite ce nom : Les arbres touffus, chargés des fruits les plus savoureux, les plantes odorantes, le courant de l’eau, le souffle de l’air, tout concourt à entretenir une fraîcheur délicieuse sous ces ombrages, et en aucune saison les rayons du soleil n’ont la permission d’y pénétrer. »

La voie ferrée de Séville à Cordoue est à peu près parallèle au cours du Guadalquivir. Le fleuve, qui coule paisiblement en décrivant de nombreux méandres au milieu de vastes plaines d’une fertilité admirable, disparaît de temps en temps pour se mon-