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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/345

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d’Orient leur envoyèrent des ambassadeurs pour solliciter leur alliance ; les récits contemporains sont remplis de détails sur la réception qui fut faite aux envoyés venus de Constantinople. Mariana, parlant de l’un des Khalifes, dit qu’il tenait en ses mains la paix et la guerre, et qu’il était maître de faire et de défaire les rois.

Malgré leur puissance, les princes arabes se montrèrent fort tolérants à l’égard des chrétiens : dans toutes les villes conquises ceux-ci obtinrent le libre exercice de leur culte. Les vainqueurs firent même mieux : ils partagèrent avec eux les églises par moitié. Ainsi, lorsqu’il fut question de bâtir la fameuse mosquée de Cordoue, comme l’emplacement choisi était occupé par une église dont les chrétiens jouissaient par moitié, Les musulmans durent s’entendre avec eux pour le rachat de leur part. Le auteurs arabes citent même le chiffre de l’indemnité, qui s’éleva, disent-ils à cent mille dinars.

Ce qui prouve encore la tolérance des Khalifes de Cordoue à l’égard des chrétiens, c’est qu’un concile d’évêques fut tenu dans leur capitale sous le règne d’Hishám, fils d’Abdérame Ier, et qui occupa le trône après lui. On assure même que dans un seul jour, trois mille chrétiens de Cordoue abjurèrent leur religion pour embrasser solennellement celle de Mahomet. Les Juifs étaient également libres de pratiquer leur culte : ils avaient leur synagogue dans une rue qu’on appelle encore aujourd’hui la Calle de los Judios, — la rue des Juifs. Cette construction existe encore, et sert de chapelle sous l’invocation de sainte Quiteria.

Depuis le commencement du neuvième siècle jusqu’à la fin du douzième, Cordoue fut une des villes les plus brillantes et les plus peuplées du monde entier : rivale de Damas et de Bagdad, les deux villes Les plus florissantes de l’Orient, elle vit sa population s’élever à près d’un million d’habitants ; elle renfermait, assure-t-on, deux cent mille maisons, trois cents mosquées (d’autres disent même six cents), cinquante hospices, quatre-vingts écoles, et neuf cents bains publics. Le nombre des faubourgs s’élevait à vingt-deux, et chacun de ses faubourgs avait ses mosquées, ses marchés, ses bains, et autres établissements utiles. Les détails que donnent les historiens arabes sur le luxe et la splendeur de la cour des Khalifes sont tellement merveilleux, qu’on pourrait croire leurs récits exagérés s’ils n’étaient unanimes à ce sujet. L’or, l’argent, l’ivoire, les perles, les pierres fines et les marbres les plus précieux, les bois les plus rares étaient employés avec une profusion inouïe dans la construction et dans l’ameublement des palais des souverains, et des habitations des particuliers.

Les révolutions, les guerres civiles et les invasions des Berbères venus d’Afrique détruisirent peu à peu toutes ces splendeurs, et Cordoue étant tombée au pouvoir de Ferdinand III (saint Ferdinand) le 29 juin 1236, sa décadence ne fit que s’accroître sous la domination chrétienne. À la fin du dix-septième siècle, elle ne comptait que quatorze mille feux, et cent ans plus tard ce nombre était tombé à huit mille. Bien que sa population se soit un peu accrue depuis, elle ne contient guère aujourd’hui plus de dix mille feux ou cinquante mille âmes à peine. Nous voilà bien loin du million d’habitants qui peuplait Cordoue à l’époque des Khalifes !


L’entrée à Cordoue. — La tour de la Carrahola. — Le pont du Guadalquivir. — La Puerta del Puente. — La Mezquita ; Abdérame et son fils. — Le Patio de Los Naranjos. — Les expropriations à Cordoue au neuvième siècle. — Les huit cent cinquante colonnes de marbre. — Le Mihrab. — Une mosaïque byzantine. — Le Zancarron ; le Makssurah ; la silla del rey Almanzor. — Les cloches transformées en lampes. — L’éclairage au temps des Arabes. — Charles-Quint et la mosquée de Cordoue. — La colonne du Captif chrétien. — Les tombeaux de la Mosquée. — L’ancien Al-Minar. — La Puerta del Perdon. — Les heurtoirs arabes.

Notre entrée à Cordoue par le chemin de fer nous fit presque regretter le bon temps des diligences. Il est vrai qu’à cette époque on arrivait brisé, harassé de fatigue, poudré à blanc par la poussière, après avoir été cahoté sur une route pendant quarante, soixante heures, et même davantage, dans une voiture mal suspendue et trop étroite.

En revanche, l’entrée à Cordoue était superbe : après avoir laissé derrière soi la Carrahola, une majestueuse tour du quatorzième siècle surmontée de créneaux, on traversait le magnifique pont de seize arches sur le Guadalquivir, que défendait cette ancienne forteresse. Ce pont, dont on attribue la construction aux Romains, fut reconstruit par les Arabes, qui élevèrent parallèlement un aqueduc destiné à alimenter la ville, et dont on voit encore les fondations. À droite et à gauche on apercevait les anciens remparts de la ville surmontés de tours arabes, et au-dessus desquels s’élevaient des palmiers à la tige élégante et svelte qui se miraient dans les eaux calmes du fleuve.

À l’autre extrémité du pont, on traversait un arc de triomphe construit dans le goût de la renaissance à l’époque de Charles-Quint, et qu’on appelle la Puerta del Puente. La porte du Pont, dont l’aspect est assez grandiose, est l’œuvre d’Herrera, un des meilleurs architectes espagnols, et les bas-reliefs sont attribués au célèbre sculpteur florentin Torrigiano. On fait remarquer aux étrangers que sur les quatre colonnes qui soutiennent la porte, l’une est entièrement cannelée, tandis que les trois autres ne le sont que dans la partie inférieure. Cette irrégularité vient sans doute de ce qu’on s’est servi pour cette porte de colonnes antiques, provenant des ruines de différents édifices. La masse imposante de la mosquée arabe, surmontée d’un lourd dôme chrétien, s’élève au-dessus des terrasses et des toits plats des maisons.

Une fois entré dans la ville, on parcourait, pour arriver jusqu’à la Fonda, un dédale de rues étroites, tortueuses et désertes. Tel est encore, du reste, l’aspect de la plupart des quartiers de Cordoue : on dirait parfois, surtout à l’heure de la grande chaleur, que les habitants ont déserté leur ville. C’est à peine si, dans