Aller au contenu

Page:Le Tour du monde - 16.djvu/360

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


VOYAGE EN ESPAGNE,


PAR MM. GUSTAVE DORÉ ET CH. DAVILLIER[1].


Séparateur



SÉVILLE.


1862. — DESSINS INÉDITS DE GUSTAVE DORÉ. — TEXTE INÉDIT DE M. CH. DAVILLIER.


La Tierra de la Santisima. — La dévotion à la Sainte-Vierge en Espagne. — Les Coplas et les Chançonetas en l’honneur de la Virgen. — Les Cafradias. — El Rosario de la Aurora. — La Prediccion de la Gitana. — L’Immaculée Conception en Andalousie.

Nous avons dit combien Cordoue était déchue de sa grandeur passée, et combien son commerce et son industrie, autrefois florissants, sont peu de chose aujourd’hui. La ville, qui pourrait contenir quatre fois plus d’habitants, paraît déserte et abandonnée, et rappelle sous ce rapport certaines villes d’Italie à moitié désertes, telles que Ravenne et Pise ; comme cette dernière, elle mériterait d’être surnommée la Morte.

Les églises seules n’ont pas diminué à Cordoue ; elles sont à peu près aussi nombreuses qu’autrefois, et on peut en dire autant du clergé, qui forme à lui seul, de même que celui de Tolède, une assez bonne partie de la population. Aujourd’hui l’ancienne capitale musulmane est aussi fameuse que Séville même, pour sa. dévotion à la sainte Vierge, qu’on appelle généralement en Espagne la Santisima, — la Très-Sainte ; les Andalous désignent eux-mêmes leurs pays sous le nom de la Tierra de la Santisima, — la Terre de la Très-Sainte Vierge.

On aurait de la peine à se faire une idée de la quantité extraordinaire de livres imprimés dans la péninsule à la louange de la Mère du Sauveur. Le célèbre bibliographe espagnol Antonio, qui vivait au milieu du dix-septième siècle, citait, dans sa Bibliotheca Hispana Nova, quatre-vingt-quatre ouvrages sur les Vierges vénérées particulièrement dans certaines localités, et quatre cent trente qui traitent de la sainte Vierge en général. Il est probable que le nombre des livres de ce genre a dû doubler depuis.

Dès les premiers temps de l’introduction du christianisme en Espagne, le culte de la Mère de Dieu y prit une très-grande extension. Les rois goths dédiaient à Sancta Maria, dans les différents temples qui lui étaient consacrés, ces belles couronnes d’or pur enrichies de perles et de saphirs, comme on en a découvert il y a quelques années non loin de Tolède, et comme on peut en voir au musée de Cluny. Jaime el Conquistador, roi d’Aragon, fit élever, dit-on, mille églises, toutes dédiées à la Vierge Marie.

Nous avons parlé des couplets de Jotas en honneur de la Vierge, qui se chantent en Aragon pour accompagner les danses de ce nom : l’Andalousie est plus riche encore que les autres provinces en poésies de ce genre : tantôt se sont des coplas pleines de fraîcheur et de naïveté comme celles-ci :

En las mañanas de Abril.
Al amanecer el dia,
Se juntan los pajaritos
Cantando el Ave-Maria.

« Dans les matinées d’avril, — Aussitôt que paraît le jour, — Les petits oiseaux se réunissent, — En chantant l’Ave-Maria. »

La Virgen se fué á lavar
Sus manos blancas al rio ;
El sol se quedó parado,
La mar perdió su ruido.

« La Sainte-Vierge alla laver — Ses blanches mains dans le ruisseau ; — Le soleil s’arrêta dans sa course, — Et la mer cessa de mugir. »

La Virgen se está peinando,
Su peine de marfil era ;
Rayos de sol sus cabellos,
La cinta la primavera.

« La Vierge arrange sa chevelure, — Son peigne était d’ivoire ; — Ses cheveux étaient des rayons de soleil, — Et le printemps lui servait de ceinture. »

La Virgen quisó sentarse
Al abrigo de un olivo ;
Y las hojas se volvieron
A ver el recien nacido.

« La Vierge voulut s’asseoir — À l’ombre d’un olivier, — Et les feuilles se retournèrent — Pour voir son fils nouveau né. »

Por los campos de Oriente
Sale dando envidia al sol
La mas bella criatura
Que de mugeres nació.

« Dans les campagnes de l’Orient — S’avance, rendant jaloux le soleil, — La plus belle des créatures — Qui naquit jamais entre les femmes. »

Cuando la Virgen fué a misa
En el templo de Salomon

  1. Suite, — Voy. t. VI, p. 289, 305, 321, 387 : t. VIII, p. 353 ; t. X, p. 1, 17, 353, 369, 385 ; t. XII, p. 353, 369, 385, 405, 417 ; t. XIV, p. 353, 359, 385, 4O1 ; t. XVI, p. 305, 321 et 337.