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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/40

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nez a l’air d’une pièce ajoutée après coup, et il est très-pointu, quoique les lèvres soient grosses. Les yeux sont arrondis et sortent trop de leur orbite. La coiffure ressemble à une mitre arrondie ; la tête, les oreilles, le cou, les bras et les jambes sont chargés d’une profusion de bijoux représentés en couleurs brillantes, tandis que les parties du corps laissées à nu sont peintes en blanc comme les piédestaux. La physionomie que j’ai cherché à décrire est en général celle de toutes les sculptures indiennes, et pour en compléter l’idée il suffit de dire qu’elles ont un air nonchalant et presque endormi, sans doute parce que le demi-sommeil est l’état de béatitude à venir. La plus grande de ces statues a au moins trois mètres cinquante centimètres à partir de la surface du piédestal et les plus petites sont un peu au-dessus de la grandeur naturelle. Elles sont construites en briques, comme celles des pagodes et sont couvertes d’un stuc moulé, qui ne dure qu’autant que la peinture extérieure est entretenue. Celles dont il est question paraissaient neuves. Je ne pus connaître le but de ces statues élevées ainsi au milieu des champs et sans être protégées par une enceinte. On me dit seulement que ce sont des Bouta ou dieux malfaisants. Le pays est toujours aussi monotone jusqu’à Gondelour, ancienne colonie française où se trouve maintenant un pénitencier indou et où nous séjournâmes fort peu de temps.

Une première visite de l’ensemble pour satisfaire l’élan de la curiosité, nous donna une idée générale de la pagode et m’amena à des réflexions dont il vaut mieux, je crois, faire précéder que suivre la description détaillée. Je fus d’abord frappé de la différence qui existe entre la disposition de nos édifices religieux, de ceux des anciens et de ceux de ces peuples. Il m’a semblé que dans l’antiquité, où il y avait des mystères, il n’avait pas été aussi nécessaire d’orner le sanctuaire peu fréquenté que l’extérieur laissé à la vue du public. Tout l’art des architectes s’est donc porté vers le dehors. Là s’élèvent d’élégantes colonnes et se montrent les sculptures des frises et des frontons. De plus, le choix admirable de la position augmente l’impression produite par ces édifices souvent placés sur des hauteurs et colorés de tous côtés par le brillant soleil de ces climats. Aussi rien de plus admirable que le Parthénon sur l’Acropole, et les colonnes blanches du Temple de Minerve sur le cap Sunium. L’effet de la Madeleine serait tout autre au sommet de la butte Montmartre qu’au bout de la Rue Royale ! Il m’a semblé au contraire que le christianisme, apportant une religion de charité égale pour tous et admettant ses fidèles aux mêmes cérémonies, avait dû nécessairement leur offrir de vastes salles, et c’est dans leur intérieur qu’il a concentré ses ornements éclairés par le jour coloré des vitraux. On le remarque dans les églises byzantines et même dans les mosquées, où l’absence de toute image n’exclut pas l’ornementation du sanctuaire. Un bois de palmiers ou de cocotiers aux feuilles pendantes, aux tiges grêles, semble être le type normal du style gothique ; celui-ci est la traduction en pierres de ce que la nature nous montre de plus élégant. Quand, à son coucher, le soleil pénètre sous l’impénétrable dôme de verdure d’un bois de cocotiers, quand il en éclaire çà et là quelques troncs et les bouts pendants des feuilles, on a un spectacle aussi remarquable par son élégance que celui des plus beaux édifices que le génie de l’homme soit parvenu à élever en l’honneur de Dieu. Dans l’Inde il y a des cérémonies ainsi que des mystères, et toutes les parties de la société sont divisées et très-inégales par leur instruction et leurs droits. Les brahmes sont seuls initiés à tous les mystères du culte, les autres castes approchent à peine du sanctuaire ; quelques-unes en sont totalement exclues, et la multitude n’aperçoit les statues de ses dieux, que pendant quelques cérémonies extérieures présentant de l’analogie avec nos processions. La division en castes s’oppose à la conversion à d’autres cultes ayant pour dogme l’égalité des croyants, puisque l’homme placé sur l’avant-dernier degré de l’échelle indoue, croirait déchoir s’il s’abaissait jusqu’à son voisin d’au-dessous, dont le simple contact est pour lui une souillure. Il faut séjourner dans l’Inde pour se faire une idée des superstitions de ces contrées, de leur bizarrerie et de la ténacité avec laquelle cette division tend à les conserver intactes.

La théogonie des anciens n’approche pas sous ce rapport de celle de l’Inde, où l’on ne trouve dans les caractères et les passions des divinités que des peintures grossières auprès de la poésie élégante de la mythologie occidentale. Il y a presque autant de différence sous ce rapport que sous celui des sculptures qui représentent les divinités des deux religions ; celles de l’antiquité classique excitent encore l’admiration, tandis que nous trouverions que l’aspect des autres est repoussant. Costumes, usages, professions, on pourrait même dire les idées elles-mêmes, n’ont pas changé depuis des siècles. Les invasions, les conquêtes ont été sans effet ; il faudra que le contact des Européens dure longtemps pour affranchir les castes inférieures, et alors il est probable que l’Indou aura pour ainsi dire disparu pour ne laisser sur le sol qu’une foule de travailleurs au profit des dominateurs étrangers. Si leur organisation est très-durable, d’un autre côté elle ne peut suivre celle toujours changeante des peuples venus de l’Occident. Admettant qu’elle existe dans une île isolée, elle durerait certes plus que toute autre. Mais l’Inde n’est pas dans cette condition, et elle devient plus que jamais uns vaste mine de coton, d’opium et de riz, qui a cela d’avantageux qu’on y trouve les travailleurs sur le sol de production, et qu’il ne sera jamais nécessaire d’importer des nègres dans un tel pays ; ils y croissent naturellement. La destinée du sectateur de Brahma est d’être dominé ; c’est une suite de son état social, on pourrait presque dire de son hygiène ; il l’a toujours été ; si maintenant nous sommes portés à le plaindre, ce n’est qu’en oubliant qu’il était jadis sous le joug musulman, le plus ignorant et le plus cruel qui existe ; l’exploitation de l’In-