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Page:Le Tour du monde - 16.djvu/88

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VOYAGE DANS LA BABYLONIE,


PAR M. GUILLAUME LEJEAN[1].


1866. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.


VIII


Ctésiphon. — Archéologie. — Chosroès. — Légendes. — Azermi la Vierge. — Les Arabes. — Anecdotes. — L’hospitalité orientale.

Je dirai, pour finir, que le patriarche actuel des Chaldéens, résidant à Bagdad depuis que Babylone et Ctésiphon ont disparu, mentionne Coche, ou comme sa résidence, ou comme un de ses évêchés suffragants.

Si le faubourg que j’ai signalé n’est pas Coche, il pourrait bien être la grande ville qui remplaça Séleucie sous les Khalifes et que je trouve ainsi décrite dans une géographie arabe du douzième siècle :

« Nous campâmes le soir dans une ville nommée Zariran. Cette ville est une des plus belles de la terre pour la beauté de son aspect, l’étendue de ses cours, la largeur de ses rues, la grandeur de ses jardins, de ses champs de blé et de ses plantations de palmiers. Il y a un bazar dont des parties suffiraient pour faire des bazars à des villes entières. Le Tigre arrose l’est de la ville et l’Euphrate est à l’ouest, et elle est entre eux comme une fiancée. Les plaines, les villes, les champs cultivés occupent l’espace entre ces deux fleuves bénis. À l’est, on voit l’Iwen Kesra, et son imam, à gauche… Quant à Madeïn, ce n’est qu’une ruine. »

Il dit plus loin que le monument de Selman le Persan était à une demi-parasange à l’est.

Ammien dit que parmi les ruines de Séleucie, on voit une source abondante qui verse ses eaux dans un grand étang. Je n’ai vu ni la source ni l’étang, ce qui ne veut pas dire absolument qu’ils n’existent pas. L’étang aura été remplacé par le marais dont j’ai parlé plus haut.

Repassant le fleuve, je revins à Ctésiphon, et me mis en mesure d’en lever le plan, dont je donne une réduction (voy. p. 83). Il me fut absolument impossible de trouver une enceinte à cette ville (je ne parle pas de la ligne de murs voisine du Tigre, que je regarde comme le rempart oriental de Séleucie). Je reconnus pourtant au sud les fragments d’une enceinte en ligne brisée, mais ce fut tout. Au levant il y avait bien le Bostan, dont je parlerai plus bas, mais qui est une ruine à part.

Pourtant, il n’y avait pas à s’y tromper : Ctésiphon était une ville fortifiée. Ammien Marcellin en attribue la fondation au roi parthe Vardane ou Varane, ce qui me semble incliner à la légende comme tous ces kasr Bahran (château de Varane) que j’ai vus en Perse. Varanne-Bahran est l’un des trois ou quatre grands héros légendaires de la Perse, et il serait curieux qu’Ammien eût connu cette histoire. Il ajoute que Pacorus, fils d’Orodes, l’embellit. C’était pour les rois parthes une résidence d’hiver, leur campement d’été se trouvant à Ecbatane ou en Hyrcanie : pour les Sassanides, ce fut une capitale fixe. Elle était grande, puisque Sévère en enleva cent mille prisonniers : elle était forte, puisque le prince de Palmyre, Odenat, ravagea la Mésopotamie, la population trouva un appui assuré dans les murs de Ctésiphon. Julien vainqueur n’osa l’assiéger, et alla se faire tuer à vingt lieues de là vers le nord.

La plaine, au sud et à l’est du Tak et de ses environs immédiats, est presque absolument dépourvue de ruines ; après force tâtonnements, j’ai fini par trouver une grande masse de décombres tout à fait au nord, derrière Zembil et Maëro (voy. mon plan). Malheureusement, quand j’arrivai là, notre temps était compté et il était impossible de consacrer à ce quartier l’étude patiente qui eût permis d’en faire un bon levé. J’ai dû me borner à tracer quelques rues et ruelles, et je désire vivement qu’un prochain explorateur termine ce travail. J’avais d’abord inscrit ce quartier comme faubourg, grâce à mon idée préconçue que le Tak représentait un point assez central dans la cité : mais j’incline à croire que c’était la ville même. Le Tak était évidemment un palais ; mais nulle part, surtout en Orient, un palais n’est nécessairement renfermé dans le quartier le plus populeux d’une ville.

Pour se faire une idée de la renommée qu’avait en Orient ce palais et celui qui en fit sa résidence la plus chérie, Chosroès le Victorieux (Kesra ou Kesrou Parviz), j’emprunte quelques lignes à la Bibliothèque orientale de d’Herbelot. Ne nous arrêtons pas aux hâbleries qui remplissent ce passage : nous sommes chez les Arabes et les Persans.

« Ce trône étoit un grand palais d’une hauteur prodigieuse, et son étendue étoit si vaste, qu’il étoit soutenu de quarante mille colonnes d’argent, toutes rangées en divers ordres d’architecture. Sa voûte étoit enrichie de mille globes d’or, lesquels avoient tous leur mouvement différent, et représentoient les planetes et les diverses constellations du Zodiaque. Les murailles étoient parées de trente mille housses en broderie, tendues en plusieurs compartimens.

« Sous ce palais il y avoit des voûtes séparées, où l’on gardoit des trésors immenses d’or, d’argent, de

  1. Suite et fin. — Voy. pages 49 et 65.