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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/102

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ne pouvaient le voir quand ils en avaient besoin, et que les Sofas reçussent l’ordre de ne jamais arrêter un Talibé comme cela avait eu lieu la veille de l’expédition de Dina ;

2o Qu’Ahmadou nourrît et fît soigner les blessés, qui restaient abandonnés sans ressources et souvent sans autre moyen d’existence que la mendicité ;

3o Qu’Ahmadou prît soin des enfants et des veuves des Talibés tués à la guerre.

Ces deux dernières demandes étaient fort justes, et Ahmadou, qui le sentait bien, s’empressa de répondre que chaque fois qu’un Talibé blessé lui avait demandé des secours, il lui en avait envoyé, mais qu’il ne pouvait secourir ceux qui n’en demandaient pas, vu qu’il ne savait même pas s’ils étaient blessés.

Cette réponse, bien qu’inexacte et grosse d’objections, était assez adroite et ne souleva pas la plus petite récrimination. Ahmadou avait répondu, et on n’avait pas l’habitude de le forcer à s’expliquer.

Trois semaines de tergiversations et de délais s’écoulèrent encore, puis le 21 juin au soir, le tabala retentit ; les griots parcoururent la ville en convoquant l’armée à un nouveau départ ; il s’agissait de marcher sur Sansandig, et je me tins prêt, cette fois encore, à accompagner Ahmadou. J’allai le rejoindre à quelques lieues en amont de la ville, au bourg de Bafou-Bougou, où il s’était installé pour présider au passage du fleuve par son armée, opération longue, difficile, toujours féconde en accidents, et qui ne prit pas moins de trois jours, bien qu’elle fût activée par la présence et les incitations du monarque. Le fleuve, sur ce point, n’a pas moins de 1 800 mètres de largeur.

Le 7 juillet, Ahmadou passa à son tour le Niger, dont la rive méridionale ne conservait plus que quelques retardataires. J’avais assisté à toute la traversée du fond d’un couvert, où l’ombre et l’humidité du sol m’avaient garanti de la chaleur et du soleil ; mais le soir, remarquant dans l’horizon de l’est des nuages et des éclairs de mauvais augure, j’allai camper avec mes bagages sur le sommet le plus élevé de la berge. Bien m’en prit, car vers dix heures du soir une violente tornade éclatait sur les deux tentes que j’avais fait confectionner avec six tentes-abris réglementaires, comme on en donne à nos soldats en campagne.

Sous l’une d’elles, mes laptots étaient pelotonnés au nombre de quinze. Dans la mienne nous n’étions guère mieux. J’avais deux cantines, ma selle, des sacs de mil, trois selles du pays, six fusils, je ne sais combien de poires à poudre et huit hommes. Tout à coup nous fûmes envahis par de pauvres diables inondés et ruisselants. Bien que fort à l’étroit, comment repousser un malheureux qui, n’ayant pas d’habits de rechange, les a enlevés et arrive avec son paquet sous le bras et sa selle sur la tête vous demander un abri pour son corps nu ? On ne peut que lui dire de remettre son pantalon et d’entrer. Ce fut ce que je fis à l’égard de notre ami San Farba et de quelques autres. Le mince tissu de ma tente opposant aux torrents de la pluie un obstacle à peu près imperméable, était pour eux un sujet d’étonnement sans fin, et le lendemain, tout le monde venait la voir ; si j’eusse écouté toutes les demandes, à la première tornade il m’eût fallu loger plus de cent personnes.

Le lendemain, pendant que l’armée doublait un grand coude que le Niger décrit vers le nord, elle reçut la soumission de sept ou huit villages de l’intérieur. Le chef de la bourgade importante de Velentiguilla, qui jusqu’alors avait fait cause commune avec Sansandig, vint avec son contingent grossir les rangs d’Ahmadou, et, le 9 juillet, après une marche d’une lieue au sud-est de Velentiguilla, nous vîmes l’enceinte de la ville ennemie se dresser devant nous.

C’est un parallélogramme de 1 000 mètres sur 500, étendu le long du fleuve dont il ne s’écarte qu’à ses deux extrémités nord et sud. L’extrémité nord a joué un rôle important pendant le siége, sous le nom de pointe des Somonos qu’elle doit aux habitations des pêcheurs qui l’occupent. Ce quartier était séparé jadis de la ville par une rue aujourd’hui fermée à ses deux bouts par une forte muraille, garnie de corps-de-garde ou bilour de communication ; les murailles de la ville avaient été exhaussées de façon à présenter une escarpe de 5 mètres de hauteur sur la plaine ; elles étaient garnies de bastions disposés de manière à croiser leurs feux sur tous les points susceptibles d’être attaqués.

Après quelques heures données à l’attente d’une reddition que de faux rapports avaient fait espérer à Ahmadou, mais qui n’était certes pas dans l’esprit des défenseurs de Sansandig, le roi ordonna l’assaut.

L’attaque fut énergique autant que la défense. Pendant toute la soirée, toute la nuit et toute la journée du lendemain, on se battit avec un acharnement égal des deux parts, au pied des murs, sur les brèches pratiquées à la sape, et surtout dans le village des Somonos, où des feux plongeant partaient de chaque terrasse, et où, tout en cédant du terrain, les Bambaras ne reculaient que pas à pas, en se fortifiant de case en case, et en ne laissant derrière eux que des ruines.

Cependant le 10 au soir, on avait pris presque tout le tata des Somonos et un bilour de communication avec le grand tata, et la peur commençait à gagner la population de la ville ; plusieurs pirogues en sortirent ; on en captura une qui portait douze femmes et quatre hommes ; ceux-ci naturellement furent mis à mort.

Le 11 au matin, les chefs de l’armée voulurent reprendre l’attaque au point où ils l’avaient laissée la veille ; mais Ahmadou s’y refusa, sous prétexte que leurs hommes avaient besoin de repos et qu’il fallait attendre une distribution de vivres. À partir de ce moment et pendant toute la durée du siége, Ahmadou ne commit que des fautes.

Ses irrésolutions laissèrent toujours échapper les occasions favorables d’attaquer l’ennemi, et sa barbarie implacable qui n’épargnait aucun prisonnier, quelle que fût son origine, Maure, Peulh ou Bambara, retrempa toujours, au moment décisif, dans la haine et le désespoir, la résolution ébranlée de ses adversaires aux abois