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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/120

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ensuite des pierres brutes : morne lieu de sommeil pour ceux qui dorment la dans l’éternel hiver ! Sur une de ces marches funèbres, et dominant la mer qu’il avait tant aimée, notre pauvre ami repose au bruit des vagues qui lui chantent leur requiem sans fin.

Il nous fallut consacrer quatre jours entiers à l’achat des attelages et de notre garde-robe arctique : peaux de rennes, de phoques et de chiens. À Pröven déjà nous nous en étions procuré un certain nombre que nous avions remises aux femmes indigènes pour les confectionner à la dernière mode de leur race. Les bottes, en particulier, réclament beaucoup de soin et d’attention ; elles sont en cuir de phoque, cousu de fil de nerfs, et on sait les accommoder d’une façon merveilleuse à la forme du pied. Une botte bien faite est absolument imperméable, et celles que portent les belles du pays sont aussi élégantes qu’utiles. Les peaux, alternativement exposées au soleil et à la gelée, deviennent d’une parfaite blancheur, et peuvent recevoir toutes les nuances suggérées par la fantaisie de l’ouvrière ou que le résident se trouve posséder dans ses magasins. Comme leurs sœurs de toutes les latitudes, les Groënlandaises aiment à plaire ; elles ne dédaignent pas d’exciter l’admiration, et les couleurs gaies et voyantes leur sont particulièrement agréables. Aussi, et bien que le caprice individuel se donne libre carrière, la vogue est surtout aux bottes écarlates ou aux bottes blanches brodées de rouge. Il serait difficile d’imaginer un plus comique spectacle que celui de toutes les jambes jaunes, violettes, bleues, cramoisies et blanches, qui couvraient la grève au moment de notre entrée dans le port.


Oumyak groënlandais, barque pagayée par des femmes. — Dessin de Jules Noël d’après le capitaine Graah.

Sur environ deux cents âmes, Upernavik compte une vingtaine de Danois et un plus grand nombre de « sang-mêlés. » Je trouvai à recruter dans cette population, grâce à M. Hansen, trois chasseurs et un interprète, sans compter deux marins danois ; nous étions ainsi vingt à bord. Voici les noms de ces nouvelles recrues :

Pierre Jansen, interprète et surintendant des chiens.

Charles-Émile Olsurg, matelot.

Charles-Christian Petersen, matelot et charpentier.

Pierre, Marc et Jacob, Esquimaux convertis, chasseurs et conducteurs d’attelages.

La cordialité touchante des habitants d’Upernavik m’a laissé le plus doux souvenir ; je ne puis me rappeler sans émotion leur désir de nous être utiles et leurs généreux efforts pour nous procurer ce qui nous manquait encore ; j’ajoute, à leur louange, que tous ces services étaient complétement désintéressés ; ils refusaient opiniâtrément ce que je pouvais leur offrir, et c’est à peine si je parvins à faire accepter à quelques-uns un baril de farine ou une boîte de conserves. « Vous n’en aurez que trop besoin pendant votre voyage, » répondait-on partout. M. Hansen renvoya même à bord le présent que j’avais cru devoir lui faire en échange de l’attelage dont il m’avait libéralement fait cadeau. Aussi me sembla-t-il que je ne pouvais quitter l’établissement sans donner à ces braves cœurs un témoignage de ma profonde reconnaissance. La veille de mon départ, j’invitai à une collation les représentants du roi Frédéric VII ; j’expédiai à terre mon secrétaire, M Knorr, muni de cartes d’invitation cérémonieuse-