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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/181

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rages, le voyageur se voit parfois dans la triste nécessité d’attendre des journées entières qu’il plaise au maître de poste de lui annoncer qu’il peut enfin mettre un attelage à sa disposition.

Pour un bon pourboire, le paysan de poste, le voiturier, ne craint pas de harasser son attelage à trois chevaux : il est à noter toutefois qu’il emploie rarement le fouet même pour la course la plus rapide.

J’ai souvent remarqué avec quelle habitude il savait exciter ses chevaux de la voix ou d’un simple geste pour les faire partir à fond de train. Chaque paysan trouve des paroles caressantes pour montrer à ses bêtes sa satisfaction, ou des reproches pour leur faire sentir son mécontentement ; elles sont habituées à le comprendre.


Cosaques au tir.

Lorsque la route est difficile, il les stimule sans cesse par des phrases seulement : mais je crois qu’on ne trouve guère cette douceur que chez les voituriers d’origine russe, car les Tartares, les Nogaïs et les autres indigènes, que j’ai eu l’occasion de voir à l’œuvre, se distinguaient au contraire par leur brutalité envers les animaux.

Toutefois, avec de bons chevaux, et si l’on ne regarde pas à la dépense, on peut, dans ces contrées, comme dans toute la Russie, voyager avec une rapidité vraiment prodigieuse.

Ainsi, en 1865, j’ai parcouru en huit jours une distance de plus de cinq cents lieues[1], de Tiflis à Saint-Pétersbourg, par une route abominable et des boues affreuses : je n’étais cependant ni un grand seigneur brûlant les relais pour fuir ou bercer son ennui, ni un riche négociant poursuivant une affaire ; je faisais le service de courrier (kourierskoïy nadobnosti).

Les courriers de la cour font ce même trajet en sept, six et quelquefois même cinq jours.


Course de Cosaques.


Géorgievsk. — Périsse le voyageur plutôt que le télégraphe. — Un dimanche à Géorgievsk. — Piatigorsk. — Les délicieux varenikis. — Les bains d’Ermolov et les sources d’Elénine. — Le Trou. — L’armurier de Schkhaou. — Tabor de Tsiganes (Bohémiens). — Leurs mœurs. — Un ménage de Bohémiens. — L’artiste en face de ses modèles. — Un préposé de la poste ennemi de l’art.

La première ville que l’on rencontre sur la route qui longe toujours les bourgades cosaques est celle de Géorgievsk. C’est un petit et vilain endroit, défendu par un misérable fort.

Après ma courte maladie et ma rencontre avec la magicienne, j’avais quitté pour quelques jours ma troïka et continué mon voyage dans une voiture de poste qui était venue à passer et qui allait de Stavropol à Tiffis. Si la poésie eut à souffrir de l’abandon que je fis de la légère troïka pour un lourd équipage plus moderne, mes reins y gagnèrent beaucoup, et mon âme ne fut plus exposée à quitter mon corps à chaque cahot que ne lui épargnaient guère les nombreux trous du chemin.

Entre Stavropol et Géorgievsk, la route passe au milieu des bourgs des Cosaques, qui paraissent être

  1. Deux mille verstes.