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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/200

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général en l’assurant de leur dévouement, et lui proposèrent de lui servir d’escorte pour écarter tout danger.

Au milieu de ces guerriers et de quelques hommes de la milice des Géorgiens, le prince Chalikoff partit en avant, laissant ses soldats à l’arrière-garde.

Il put bientôt distinguer les retranchements construits par les rebelles et derrière lesquels ils se tenaient :

« Allez, dit-il aux montagnards qui l’entouraient, chassez le peuple, et que ces gens rentrent chez eux !… »

Ceux-ci partirent au galop ; mais au lieu d’avancer contre les rebelles, ils prirent la fuite en tous sens et disparurent complétement. ce fut seulement alors que, se voyant éloigné de ses soldats, n’ayant que quelques hommes près de lui, le général comprit tout le danger de sa situation en présence d’un camp ennemi : mais il lui parut honteux ou impossible de reculer ; il se porta donc en avant et bientôt il se trouva près d’une caverne, à laquelle conduit un étroit sentier, entre un abîme et un rocher ; sur ce rocher parut le chef même, Hadji-Mourtouz, le fusil en bandoulière… — « Vauriens ! » s’écria le prince, et il tomba mort, sans pouvoir prononcer une parole de plus.


Cabardine.

Le petit groupe qui l’avait suivi fut taillé en pièces. Les soldats accoururent au bruit des détonations, mais ils furent immédiatement entourés de la foule des montagnards, dits coupeurs de têtes, qui s’épaissit rapidement de manière à rendre impossible une résistance sérieuse. Jusqu’à la forteresse Zakatale, c’est-à-dire à une distance d’une dizaine de verstes, ces soldats héroïques furent obligés de se frayer un passage à travers la multitude menaçante des insurgés.

Sur deux cents hommes qui composaient l’escorte du prince Chalikoff, cinquante furent tués, plus de cinquante autres furent blessés, mais ni les morts, ni les blessés ne restèrent en route ; pas une seule des victimes de ce véritable guet-apens ne fut abandonnée. Il est aisé d’imaginer la position désespérée de plusieurs groupes de quelques dizaines d’hommes, se retirant chacun avec un camarade mort ou blessé sur le dos, et combattant au centre de plusieurs milliers d’ennemis en fureur.

Ces braves atteignirent enfin la forteresse, mais dans quel état ! c’est ce qu’il est plus facile de se figurer que de décrire. Épuisés de fatigues et succombant à leurs blessures, ce fut à grand-peine que l’un d’eux, soutenu par ses camarades, put à l’aide d’un porte-voix appeler la garnison et annoncer l’approche de l’ennemi.

Enfin, les survivants se trouvèrent en sûreté, mais pour combien de temps la position de cette petite forteresse était-elle sûre ? La garnison se composait ordinairement au plus de mille hommes, qui n’étaient pas tous soumis aux mêmes chefs. Or, pendant l’insurrection, une grande partie d’entre eux, occupée à divers travaux dans les environs, avait péri ; il ne restait plus à la forteresse qu’un petit nombre de défenseurs qui ne devaient compter que sur leurs seules forces : ils n’avaient en effet guère à espérer de secours de Lagodiach, et, du côté de Kacheti et de Tiflis, les rebelles avaient eu la précaution de brûler les ponts jetés sur l’Alazane pour servir de communication d’un bord à l’autre.

Les habitants de la petite ville, située au pied de la forteresse, se réunirent à la garnison, et se fortifièrent avec elle de leur mieux pour soutenir le siége dont ils étaient menacés.

La journée se passa dans l’attente. La nuit arriva. On entendit aussitôt les montagnards entonner leur terrible chant de carnage. C’était le signal de l’attaque. Il fut bientôt suivi de cris sauvages, et, au milieu d’un bruit infernal, les assaillants se ruèrent contre la forteresse ; mais, malgré leur acharnement, ils furent repoussés. Le lendemain, nouveau répit qui permit de préparer la résistance contre un nouveau siége. Lorsque vers la fin de la journée les secours arrivèrent, des armées régulières surgirent de toutes parts, et le dénoûment de ce drame sanglant fut tout autre qu’on aurait pu le prévoir. Les rebelles ne songèrent plus qu’à se soumettre, et subirent les conséquences ordinaires de l’insurrection. Il est inutile de donner d’autres détails ; les résultats sont toujours les mêmes en pareil cas ; douze pauvres diables furent pendus sur place, plus de cent furent exilés en Sibérie, ou dans d’autres contrées de l’immense empire russe.

Quant aux causes de l’insurrection, il ne faut pas les chercher ailleurs que dans le fanatisme religieux, dans la haine que nourrissent en général les tribus soumises contre leurs vainqueurs. Il n’y a pas