Page:Le Tour du monde - 17.djvu/300

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont des paysans des villages voisins qui se lient à ce travail par des contrats séculaires et sont exemptés pour cette raison de toute redevance envers l’État.

On exporte déjà, en Turquie et en Serbie, des quantités assez considérables de sel. Mais déjà aussi on voit qu’il vaudrait mieux en organiser l’exploitation sur une base plus large, qui permettrait aux habitants d’en faire consommer aux bestiaux et jetterait les fondements de la prospérité du pays.

Le sol de la Valachie est riche en produits inexploités de toutes sortes, métaux, houille, huiles minérales, pierres et marbres ; nous en présenterons un tableau plus loin, et nous le constations le long de notre voyage. Nous n’en étions que plus indignés contre les gouvernements qui se sont succédé dans ce pays et qui organisés, appuyés par de grandes puissances, n’ont su, jusqu’à présent (1861), que propager la dévastation et nationaliser la misère. Cette réflexion me ramène tout naturellement au bord de l’Olto, devant le monastère de Cosia. Vu de là, au centre d’un cirque de montagnes majestueuses couronnées d’une riche verdure, sous la ruisselante lumière du soleil de midi, il a plus que jamais un air d’abandon et de pauvreté pénible à regarder.

L’église d’Intrulemn’ű. — Dessin de Lancelot.

Nous quittâmes le lendemain matin, sans regret, ce triste séjour, presque fiers de revoir notre voiture attelée de nouveau de quatre paires de chevaux allègrement conduits par deux postillons. Nous repassâmes sur le lieu de notre catastrophe ; pour bien juger si nos impressions de l’avant-veille avaient été exagérées, et encore un peu sous leur influence, nous le visitâmes à pied. Le désordre du passage périlleux était en partie réparé ; la roche qui nous avait barré la route formait un écueil de plus dans l’Olto, où on l’avait fait rouler ; l’échancrure de la chaussée avait été comblée tant bien que mal avec des fascines et des pierres ; la route était praticable, à la grâce de Dieu ! Quant au défilé suspendu, s’il n’avait plus autant que la nuit l’air d’un gouffre béant, il était encore, malgré la rassurante lumière du jour qui permettait de calculer la hauteur des chutes et de mesurer les saillies de refuge, un assez légitime prétexte à émotion. Cet escarpement domine d’au moins cent cinquante pieds la rivière, à laquelle il se rattache par un talus d’environ vingt-cinq degrés, qui ne laisse d’autre chance à un corps, quel qu’il soit, de s’arrêter dans la descente que quelques arbres penchés sur l’eau.

En face et au-dessous, car il est édifié sur un terrain plat, un bourg bien bâti étale d’assez jolies maisons ; d’autres maisons, blanches et entourées de vergers, décorent la pente de la rive gauche, aussi élevée que la droite, mais moins escarpée et moins aride. Le site est beau, pas assez pourtant pour qu’on désire y finir sa vie, surtout par une chute et accompagné de six bœufs. Je reconnus et je saluai avec reconnaissance l’arbre sauveur, qui s’était si bien trouvé la pour arrêter notre voiture, et le dessinai le plus fidèlement que je pus : je lui devais bien cette marque de considération.

C’est surtout de ce bourg jusqu’au monastère que la route est dans un état d’abandon déplorable ; j’y ai