ses frères. Que son bon naturel et son âme pure la poussent à vous remercier de la sagesse avec laquelle vous l’avez élevée dans votre maison. Qu’elle s’étonne de ne pouvoir trouver assez de soupirs et de larmes pour implorer son pardon. Qu’elle s’étonne de ne pouvoir trouver assez de douces paroles de reconnaissance pour tous vos soins pleins de tendresse et de bonté paternelle. Aussi en appelle-t-elle de toute son âme à l’inépuisable bonté du Très-Haut, et le prie de faire que vos enfants jusqu’à la quatrième génération vous comblent de joie. Elle vous conjure aussi, conjointement avec son mari, de leur conserver votre tendresse à l’avenir. »
« Cette allocution terminée, les mariés font leurs adieux et vont baiser la main des parents.
« Ceux-ci, les yeux baignés de larmes, répondent à leur tour :
« En vous accordant aujourd’hui, jeune homme, la main de notre bien-aimée fille, nous ne faisons que nous soumettre aux décrets de la divine Providence, qui a permis cette union. Et, bien que la plus parfaite bénédiction soit celle du Très-Haut, cependant, de même que nos pères nous ont bénis, de même si aujourd’hui nous vous bénissons. Fasse le Seigneur Dieu qu’en vous unissant il vous affermisse dans l’amour et répande ses bénédictions sur vos têtes !
« Jeune homme, n’oubliez pas d’observer fidèlement le précepte de l’Église : « Tu aimeras ta femme et ne lui causeras point de chagrin, et tu vivras avec elle dans la paix du Seigneur. » Et toi, notre fille chérie, toi que nous avons élevée dans nos bras, que nous avons entourée de notre amour et de notre sollicitude paternelle, toi que nous avons nourrie du lait de notre tendresse et fortifiée de nos enseignements, voici l’heure de la séparation ; nous accomplissons aujourd’hui un devoir bien doux, mais bien douloureux à la fois, en te laissant arracher de nos bras pour suivre celui que ton cœur a choisi. Vivez en paix ; quant à nous, nous ne cesserons de vous bénir et de prier le Seigneur qu’il vous accorde de longues et heureuses années, qu’il vous dirige dans sa sagesse et vous affermisse dans l’union et l’amour, afin que notre âme se réjouisse de votre bonheur ; car vous êtes le seul soutien de notre faiblesse et la seule consolation des douleurs de notre vieillesse. Que le Seigneur Dieu daigne envoyer aussi ses bénédictions sur vos fils ! »
« La jeune fille se jette alors dans les bras de ses parents. Le marié se dispose enfin à emmener sa femme ; mais les frères de celle-ci se mettent en travers de la porte, la hache à la main, — jadis c’était le sabre nu, — et ne la laissent sortir que lorsqu’il a consenti à racheter son épouse par un don.
« L’épouse monte alors sur un chariot qui porte sa dot, ayant à ses côtés sa belle-sœur ou sa belle-mère. Le marié suit à cheval en compagnie de ses amis, qui, tout le long de la route, poussent des cris de joie et déchargent des pistolets.
« Cependant le marié n’est pas encore au bout de ses tribulations. À peine est-on arrivé à la maison que les parents de la jeune épouse s’emparent d’elle et l’enferment dans une chambre. Les amis du jeune homme vont la demander à grands cris, et, n’obtenant pas de réponse, ils enfoncent la porte. L’époux se précipite alors dans la chambre et arrache son épouse à ses parents ; et, en commémoration de l’enlèvement des Sabines par les Romains, il la prend dans ses bras pour lui faire franchir le seuil de la chambre nuptiale[1]. »
L’Église roumaine célèbre un grand nombre de fêtes ; les principales sont Noël (Creciûne, la crèche), Pâques (Pashtelor) et l’Assomption (Adormire, endormissement). Chacune de ces fêtes est marquée par certains usages traditionnels, qui se sont transmis fidèlement dans le peuple depuis les temps les plus reculés. Ainsi la Noël donne lieu encore aujourd’hui à une mascarade renouvelée de notre moyen âge et qui a pour objet de représenter la naissance de Jésus, la crèche où il est couché, l’étoile qui l’annonce aux Mages de l’Orient, le départ de ces derniers pour l’Occident et leur recherche du lieu où vient de naître à minuit, avec la lumière d’une nouvelle année, le Sauveur du monde. Un enfant porte en guise de bannière une étoile gigantesque de papier peint et découpé ; l’escorte est formée de soldats romains, tenant une lance dans leur main droite. Chaque individu est muni d’une lanterne, et le cortège se promène ainsi par la ville, et va de porte en porte et de maison en maison, récitant des kolinde, sortes de complaintes religieuses qui rappellent nos anciens Noëls.
Les plus grandes solennités sont celles de Pâques. Aux approches de la fête, on badigeonne l’intérieur et l’extérieur des maisons ; on lave les planchers ; on substitue des persiennes aux doubles fenêtres nécessitées par le froid rigoureux de l’hiver ; les ménagères étament les casseroles ; les boyards redorent leurs équipages ; citadins et villageois s’habillent de neuf ; et lorsque le grand jour arrive, toutes les cloches sont en branle, tous les cœurs sont épanouis ; parents et amis, dans leurs plus beaux atours, se visitent et se félicitent mutuellement, et les passants dans la rue se saluent de la phrase sacramentelle : « Il est ressuscité le Christ ; le Christ est ressuscité ! (A inviat Kristû, Kristû a inviat). »
Pendant les huit jours consacrés à la fête, la ville offre le tableau le plus animé : ce ne sont que brillants équipages, éclatantes livrées, splendides toilettes, serviteurs portant dans leurs bras de jeunes agneaux parés de rubans bleus ou roses, comme les bandelettes des anciennes victimes, ou sur leur tête d’énormes corbeilles remplies de brioches, des pots de confiture (dulceas), qui jouent un si grand rôle dans l’hospitalité orientale, de dragées et d’autres friandises que l’on s’envoie en présent. De larges et copieux festins réunissent tous les membres de la famille ; les plus pau-
- ↑ Voïnesco, Revue de L’Orient, t. XXVI.