Page:Le Tour du monde - 17.djvu/335

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

roseau est employé aussi pour faire des toitures, des clôtures et des engins de pêche.

Le climat de la Roumanie donne aux bois des qualités excellentes. Ils sont durs et se conservent longtemps.

La nature a prodigué à la Roumanie les prairies et les pâturages ; on n’a créé jusqu’ici de prairies artificielles qu’à titre d’expérience. La qualité des foins varie selon les localités : mais il n’y a peut-être pas d’endroit où l’herbe et le foin fassent totalement défaut. Pourtant quand la sécheresse se prolonge, les herbages de la plaine s’étiolent. Mais en revanche, même sur les crêtes les plus élevées des Carpathes, on trouve des plateaux offrant d’immenses et gras pâturages, où l’on conduit, du printemps jusqu’à l’automne, des troupeaux de bêtes à cornes, et principalement des brebis appartenant à des pâtres roumains, soit des Principautés, soit de la Transylvanie.

Les foins récoltés sur les ramifications les plus basses des montagnes, désignées sous le nom générique de mustchelles, sont de qualité supérieure. La flore de cette région est des plus riches ; on y trouve un nombre infini de plantes de la famille des graminées, des légumineuses et des labiées, qui donnent au foin un parfum excellent. En été, ces prairies peuvent rivaliser d’aspect avec celles des Alpes suisses. Les foins de la plaine, quoique d’excellente qualité, ne peuvent leur être comparés ; l’herbe y est plus forte, tandis que sur les mustchelles sa finesse et sa densité lui font donner le non d’herbe de soie.

D’innombrables troupeaux, et surtout des bœufs et des brebis, fréquentent pendant tout l’été les plaines immenses du Baragan, où l’œil se perd sur des flots d’herbe épaisse sillonnée par des bandes de vautours, de grues, d’outardes, de canepetières, de cailles et d’autres gibiers volatiles. Pendant l’hiver, le séjour de ces vastes campagnes n’est pas sans danger, car des vents violents y entraînent souvent des troupeaux entiers, les ensevelissent sous les neiges ou les jettent dans les grands lacs de la Bortcha qui est à l’est du Baragan.

Défilé de Baïa-de-Fier. — Dessin de Lancelot.

Les prairies des vallées qui longent les rivières sont très-belles et d’une fertilité telle que lorsqu’on les défriche, les blés y versent pendant les premières années. La terre y est d’une couleur noire très-prononcée.

En quittant Orèzu, nous allâmes nous installer pour quelques jours au monastère de Polovrad’j, à vingt ou vingt-deux kilomètres au nord-est, à l’extrémité d’une plaine très-élevée. Polovrad’j n’est qu’une succursale peu importante d’Orèzu ; ses bâtiments, insignifiants sont situés à une encoignure de hautes montagnes dont les anfractuosités dénudées laissent voir de gros massifs d’une belle pierre unie grise et de marbre blanc, qu’il serait facile d’exploiter. En face est la montagne, brusquement tranchée en deux par une crevasse impraticable, longue de plusieurs lieues, dans laquelle l’Oltezu (petit Olto) prend sa source et coule invisible. La croupe rocheuse qui s’élève en brusques étages à l’entrée de cette crevasse a environ quinze cents pieds d’élévation, on ne peut l’escalader que par de nombreux détours. À son sommet est une terrasse couverte d’informes ruines. Là, dit la tradition, un chef puissant habitait un château fort ; un riche trésor, fruit de ses rapines, gît quelque part dans un souterrain sous ces décombres. Le moine qui nous guidait et dont ce trésor paraissait être une des préoccupations dominantes, sondait le terrain avec son bâton, cherchant le vide et remuant les pierres. Il ne mit au jour que quelques tessons de poterie d’une terre noirâtre sans aucun signe caractéristique. Du haut de ce sommet, la vue plonge sur une immense étendue de plaines dans laquelle on n’aperçoit ni villes ni villages : paysage uniforme et triste. Notre guide nous fit connaître en sa personne une assez curieuse variété de moine, qui doit être assez nombreuse, les monastères se recrutant un peu, comme les bandes de routiers d’autrefois, de sujets venus de partout, qui s’engagent pour un certain nombre d’années, moyennant l’habit, la nourriture et un traitement en argent payable par mois. Quelques Igoumènes, économisant à leur avantage sur les deux premiers articles et reculant le plus possible l’échéance des espèces, ne doivent pas se montrer trop difficiles dans le choix de leurs recrues. Notre compa-