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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/372

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du temple de la Concorde. Ce large escalier descend jusqu’au carrefour de la via Sacra dont la branche droite va, revenant sur elle-même, passer sous l’arc de Sévère : tracé qui ne date que du septième siècle. Nous retrouvons donc la tribune aux harangues au pied et à l’angle de l’arc de Sévère : il en reste de massives constructions en péperin de dix mètres de longueur, je les ai mesurées ; tout auprès est le bureau des scribes qui fixaient les discours en notes tironiennes, — ce qu’on appellerait aujourd’hui les sténographes.

Ces indications sont écrites nettement et les portions essentielles subsistent. On me pardonnera donc de ne point disserter à ce sujet ; je craindrais de refroidir l’impression que ce lieu fait naître. Je ne m’étendrai pas non plus sur la monographie du temple de la Concorde : revêtements en jaune antique de la cella, brèches violettes, marbres africains qui apportaient l’animation d’une
La Græcostasis. — Dessin de E. Thérond d’après une photographie.
polychromie naturelle… magnificences anéanties dont on serait réduit à compiler le souvenir. Pour constater l’antiquité de l’œuvre, je rappellerai qu’un entablement splendide et quelques bases très-ornées des colonnes, conservés au Capitole, sont comme travail et comme dessin, rappelés de fort près par des socles et autres fragments trouvés dans le palais de Néron sous les thermes de Titus.

C’est à l’entrée du Forum que demeurait ce Pison qu’Agrippine accusa d’avoir empoisonné Germanicus, et c’est là qu’il fut mystérieusement égorgé : Tacite insinue que ce fut à l’instigation de Tibère, que ce complice pouvait compromettre. Que d’événements sur cette scène aussi limitée qu’un théâtre, depuis les jours où Brutus y montra le poignard de Lucrèce, et où Virginius acheta dans ces boutiques au nord du Forum, dont la place est encore marquée, le couteau qui devait pour atteindre les décemvirs traverser le cœur de sa fille, jusqu’à la séance où fut brûlée la curie devant le corps de César !

Pour tout justifier, pour tout animer, pour que les grands spectres de l’histoire reviennent apporter là les émotions de leur présence, il suffit de s’asseoir sur une colonne et d’ajuster des souvenirs à ce décor.

Jonchez d’un peuple frémissant ces comices dont les marches sont devant vos pas ; du haut en bas des degrés du temple de la Concorde échelonnez les sénateurs drapés dans leurs toges, attentifs, haletants… À la tribune, Cicéron fulmine son dernier discours contre Catilina : le peuple, agité de mouvements contraires, interrompt le consul par de longues rumeurs, et là-bas, plus loin, sur votre gauche, les complices de Catilina écroués à la prison Mamertine, épouvantés de ces cris et de l’éloquence mortelle pour eux de Marcus Tullius, pressentent leur sort et s’attendent à être égorgés…

Habile à soulever dans un même réquisitoire deux auditoires différents, tantôt Cicéron électrise le Sénat, tantôt il l’effraye en déchaînant le peuple qu’il saura calmer d’un mot : agissant tour à tour et sur les comices et sur les patriciens, tourné successivement vers les uns ou vers les autres, il finira par tout rallier dans une seule opinion, dans une seule volonté ! L’aspect des localités éclaire des récits bien souvent obscurs pour les lecteurs qui ne savent comment s’expliquer ces effets presque simultanés exercés par Cicéron, et sur le Sénat, et sur le peuple. On éprouve une certaine sensation lorsqu’on touche cette tribune où subsistent encore les trous dans lesquels s’ajustaient les rostres cette tribune ou le jeune Octave a fait clouer la tête et les deux mains de Cicéron.

C’est après la soumission des Latins, trois cent trente-quatre ans avant notre ère, que les vaisseaux d’Antium ayant été brûlés, on para de leurs éperons (rostra) la tribune du Forum. Depuis lors, les rostres sont devenus la décoration obligée des tribunes.

Ce comice, qu’avoisina depuis l’arc de Tibère, fut supprimé par César ; il y substitua, institution moins inquiétante pour ses desseins, un temple qu’Auguste ne manqua pas de terminer. Le lieu d’ailleurs était saint depuis longtemps : rostraque id templum appellatum, dit le même Tullius. Pour les Romains, toute place consacrée par les augures prenait le nom de temple. Auguste y attacha sans doute une intention expiatoire.

Pour lire sans confusion les événements de ces