grandes époques, il est utile de se retracer certains changements. Les rostres furent placés jusqu’à Sylla non loin du temple de Castor et de Pollux très-voisin de la Græcostasis, si toutefois le second édifice n’a remplacé l’autre. C’est là que Cicéron a plaidé pour Milon. Les Catilinaires furent prononcées, ainsi que je l’ai dit, devant les marches du portique de la Concorde ; enfin, après la suppression de ce comice, la tribune fut transportée en face de son premier emplacement, c’est-à-dire au pied du Quirinal, entre Saint-Adrien et San-Lorenzo in Miranda, mais plus près de cette église-ci et plus en avant, sous les arbres actuels de cette avenue que des fouilles devraient faire disparaître. C’est à cette troisième tribune qu’Antoine parla contre les assassins de César, et c’est là qu’il découvrit son corps aux yeux du peuple.
Entablement du temple de la Concorde. — Dessin de Catenacci d’après une photographie.
Avant de descendre du Vulcanal plaçons-nous au centre, à un endroit ou la voie élargie est bordée de trottoirs assez hauts en péperin : c’est là qu’à la suite des triomphes on détachait du char victorieux les chefs et les rois vaincus. Ils prenaient alors sur la droite la rue qui se dirige encore vers la prison Mamertine, où on les écrouait. Jugurtha a cheminé courbé où nous marchons pensif, Syphax, Persée ont à leur tour suivi cette voie douloureuse.
On aime à s’oublier parmi ces pierres que la flamme du soleil chauffe et rend éclatantes, dans ces ruines d’une si riche couleur, où tout vit, où tout parle, où ce qui n’est plus semble dater d’hier, où toute mélancolie est mise en fuite par l’éclat du jour et le travail de l’esprit. Voici les dalles de marbre et la vaste enceinte de cette grande basilique Julia, que bâtit César afin qu’on ne fût point tenté de rétablir des comices au-dessus ni en deçà du temple de Castor, rebâti par Tibère au lieu même où jadis avaient apparu les Dioscures pour annoncer la victoire d’Aulus Postumius au lac Régille contre les Tarquins. Il restait là quatre colonnes au moins d’un édifice qui ressemble plus à un temple qu’à un palais de réception pour des ambassadeurs ; mais l’une d’elles a été transportée plus près de l’arc de Septime-Sévère, et redressée en l’honneur d’un assez vilain sire, l’empereur Phocas. L’exarque de Ravenne Smaragde a pris la responsabilité de ce monument, élevé à un hideux usurpateur sous prétexte de ses bienfaits. Expliquons qu’à la prière de Boniface III, Phocas avait interdit au patriarche de Constantinople de conserver le titre d’évêque universel… De nobles souvenirs se sont effacés : Phocas depuis l’an 607 se survit heureusement obscur, avec sa colonne mal acquise.
C’est du faîte de la basilique Julienne, en regardant la voie Sacrée, que pendant plusieurs jours Caïus Caligula eut la fantaisie de jeter de l’argent au peuple, en changeant quotidiennement de costume pour donner plus de grâce à ses largesses. On le vit d’abord en tunique peinte et décolletée, constellée de pierreries, avec des manches serrées par des bracelets ; puis avec des robes et des parures de femme ; puis avec une barbe d’or et tenant de la main gauche un caducée ; puis avec la cuirasse du grand Alexandre qu’il avait dérobée à son tombeau. Enfin il apparut habillé en Vénus, — ou déshabillé ; Suétone est fort concis. Cette tenue féminine devait convenir étrangement à un homme de très-haute stature, pâle, d’une corpulence énorme, dont les yeux et les tempes étaient caves, le front farouche, très-chauve, et la poitrine extrêmement velue.
Peu d’années après, au retour dune expédition en Grèce, expédition d’artiste qui va donner des représentations en province, Néron, pénétrant sur la voie Sacrée par le grand cirque dont il avait fait abattre la porte, tourna triomphalement l’angle du Forum et vint, pour se rendre au temple d’Apollon-Palatin sur le char triomphal d’Auguste, défiler devant la basilique Julienne vêtu d’un habit de pourpre, d’une chlamyde semée d’étoiles d’or, le front ceint de la couronne olympique, et celle des jeux pythiens dans sa main droite. On portait devant lui d’autres couronnes conquises au théâtre ; sur son chemin on immolait des victimes ; on lançait en offrande des parfums, des oiseaux, des rubans et des tartelettes.