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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/382

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ments sévères et que l’antiquité a discipliné son goût, les lignes conservent un peu de leur pureté devenue moins rigide ; les ornements se coordonnent au lieu de s’échapper follement en branches gourmandes ; des lois de proportion très-harmonieuses ont réglé les dimensions relatives de chacun des accessoires de l’édifice. L’écrin est d’une richesse prodigue ; mais les perles sont si bien rangées que la surcharge n’apparaît pas, et rien ne tourmente la vue dans sa promenade satisfaite et riante au pourtour de ces arceaux fleuris. Ces colonnettes groupées, de forme torse, câbles de marbre qui viennent se nouer sous des chapiteaux dissemblables entre eux comme le sont les fûts, et formant symétrie aussi par le volume et les profils ; ces bandelettes de petites rosaces, avec des festons de mosaïques déroulés au front de l’entablement, qu’animent aux tympans des bas-reliefs délicats ; çà et là des mascarons reliés à l’ensemble par d’ingénieuses fantaisies, toutes ces gentillesses d’un art qui sourit aux improvisations de sa spirituelle enfance vous attirent, et vous retiennent par un charme croissant.

Cependant il ne faut pas négliger, en passant au vestibule du cloître, quelques fresques du douzième siècle représentant le Sauveur environné de martyrs que des palmiers espacent. Cela est bien un peu sauvage ; mais les peintures de ce temps-là ne sont pas nombreuses. Dans celle-ci, d’ailleurs, l’artiste en s’inspirant des mosaïques anciennes a évité la routinière immobilité des imagiers byzantins.

Que de souvenirs et de légendes on fait lever sous ses pas en revenant à la ville ! C’est là un des attraits de cette banlieue élyséenne où se pressent les ombres.

Assez près est élevée, sur l’abattoir des soldats-martyrs du tribun Zénon qui partagea leur supplice, cette église de Sancta-Maria Scala Cœli où saint Bernard a célébré la messe, et où il eut en sacrifiant la vision d’une échelle par où montaient jusqu’aux cieux des légions de séraphins.

À quelques pas est Saint-Paul Trois Fontaines, à l’endroit même où l’apôtre fut décapité. Sa tête fit trois bonds, dit la légende, et des points qu’elle a touchés jaillirent trois sources vives : elles sont emprisonnées dans l’oratoire et les pèlerins s’y désaltèrent avec grande dévotion.

Une autre chapelle dans la plaine consacre l’endroit où se sont embrassés à la croisée d’un chemin saint Paul et saint Pierre se séparant pour aller au martyre, l’un sur sa colline, l’autre au bord du Tibre. Plus loin, avant de traverser les doubles portes crénelées de la route d’Ostie appuyées aux antiques murs de Rome, on côtoie à sa gauche la pyramide de ce Caius Cestius qui, contemporain d’Agrippa, présidait avec six autres septemvirs aux épulons sacrés du lectisternium. Sa tombe a juste un quart de la hauteur de la grande pyramide ; mais le cône triangulaire de Cestius est revêtu de plaques de marbre blanc qui ont un pied d’épaisseur. Cette pyramide flanquée de deux colonnes cannelées, ombragée de quelques cyprès qui la relient aux créneaux de la poterne, le tout enveloppé dans un repli des murs, voilà un tableau d’un joli style et d’une chaude couleur. C’est là qu’on a trouvé ce pied géant en bronze qui se voit au Capitole. Il appartenait, dit-on, à une statue colossale du septemvir.

En laissant à sa gauche la colline artificielle et énigmatique du Monte Testaccio, composée de cruches et de pots cassés, on arrive à la Marmorata où de tout temps furent débarqués les blocs de Carrare dont la ville est remplie ; puis on passe au pied du couvent de Sainte-Sabine dont les cloches chantent sur l’Aventin, dont l’église a vu saint Dominique et le père Lacordaire, illustrations qui ouvrent et ferment les annales de l’ordre des frères-prêcheurs.

En face, au delà du Tibre, c”est l’hôpital Saint-Michel, où l’on tient école de beaux-arts et de métiers pour les orphelins.

Enfin, à l’extrémité de ce contour escarpé de l’Aventin tout revêtu de ronces et d’arbrisseaux, on voit peu à peu la cité environner le fleuve derrière les vestiges de ce pont Sublicius qu’Ancus Martius a posé sur des solives de bois comme l’indique le nom, et qu’a rebâti le censeur Emilius Lépidus sous le règne du second des Césars. C’est le pont jeté sous les rois que défendit Horatius Coclès ; c’est de ce monument primitif, dont la garde et l’entretien avaient été confiés au collége des prêtres, qu’est dérivé notre mot pontife : — pontifices, préposés au pont.

De ces hauteurs du passé, pour s’élancer dans la fable on n’a plus qu’un coup d’aile à donner. Nous venions de doubler le coteau où fuma le culmen nourricier de Romulus, et avant d’atteindre aux terrassements du palais de Tibère nous avions cherché des yeux, parmi les broussailles du Palatin, la bouche de la caverne où Cacus fut exterminé par Hercule.




L’impression que produit le premier aspect de l’amphithéâtre Flavien ne répond pas toujours à ses dimensions colossales. Elle est subordonnée aux circonstances de l’heure, des effets de lumière et du point de vue ; la réflexion même y contribuera : aussi nombre d’étrangers apprécient-ils mieux le Colisée après l’avoir fréquenté quelque temps. Vous avez pris l’habitude de le traverser comme un passage en revenant du Cœlius et, tout à coup, comme devant une vision soudaine, vous vous arrêtez : le colosse jusque-là muet vient de se faire entendre.

Dans un essai consacré surtout à traduire des impressions sincères, les études préliminaires n’ont pas eu pour exclusif objet des renseignements acquis à l’histoire, sur lesquels on glissera souvent avec rapidité. Il nous serait difficile de fixer avec exactitude les limites de l’étang qui ornait les jardins de Néron lorsque Vespasien y commença cette construction gigantesque, continuée par Titus et achevée sous Domitien ; nous n’approfondirons pas la question de savoir