toire, mutilée par malheur comme le visage de Titus que les Juifs se sont plu à lapider. Son costume était celui de Jupiter Capitolin ; son visage et ses bras, rapporte Josèphe, étaient enduits de vermillon. Dans le bas-relief placé en face défilent, sur des brancards que portent les légionnaires coiffés de laurier, les dépouilles de la nation subjuguée : on y reconnaît la Table des pains de Proposition qui était d’or massif, les trompettes du Jubilé, et le chandelier d’or aux sept branches du temple de Salomon, tant de fois copié sur ce monument qui seul en a transmis la forme. À la suite des Tables de la Loi marchait pieds nus dans une robe noire le chef des Israélites, Symon fils de Gioras. Comme exécution, comme finesse et comme dessin, ces bas-reliefs, hélas trop endommagés, se classent entre les plus parfaits que l’antiquité ait laissés en Italie. Ils démontrent la véracité de Flavius-Josèphe, et ce dernier atteste la fidélité des sculpteurs.
Ces lieux-là sont remplis du malheur des Juifs. L’arc de Titus est au pied du Palatin qui garda leurs dépouilles et d’où était parti l’ordre de les exterminer ; sur les sculptures on voit traînés au Capitole les captifs d’Israël ; à quelques pas s’élève le Colisée où Titus les fit travailler comme manœuvres, en tel nombre et si durement que, selon Cassiodore, plus de douze mille d’entre eux succombèrent à la peine. Peu d’années après, Domitien épuisé d’argent par ses prodigalités les écrasa d’impôts, perçus avec tant de rigueur, que Suétone en son enfance vit un collecteur faire visiter publiquement un vieillard nonagénaire, pour vérifier s’il n’était pas circoncis. Rome, à cette époque, n’hébergeait pas moins de soixante-dix mille Israélites.
Comme j’étais à examiner les sculptures de l’arc triomphal, j’entends des cris féminins, gutturaux, furibonds, et je vois à quelques pas sur la voie Sacrée une enfant rousse à chevelure ébouriffée qui s’avançait sous l’arcade, comme intimidée et combattue. C’était, je le compris, une petite Juive ; les clameurs qui m’avaient distrait provenaient d’un sentier que les enfants d’Israël se sont frayé entre le revers du Palatin et l’arc de Titus. L’enfant s’était aventurée loin de sa mère apparemment, et celle-ci dans une langue inintelligible pour moi l’adjurait avec furie de ne point passer sous cette arche maudite. J’allai prendre par la main la petite fille que tentait la désobéissance, et la femme m’aperçut. C’était une vieille, une aïeule apparemment : persuadée que comme chrétien je devais lui vouloir mal et comme Français être espiègle, elle tourna sur moi sa fureur. Les yeux injectés, sur des pommettes briquetées et saillantes que séparait un nez crochu, la lèvre frémissante et mouillée, le geste rendu plus sinistre par des bras de squelette, agitant ses guenilles pendantes et les restes d’une chevelure dévastée, cette fille de Jacob m’accabla des plus violentes malédictions que l’on puisse ouïr sans les comprendre.
L’enfant cherchait toujours à m’entraîner sous l’arcade : je lui fis rebrousser chemin et tournant l’angle du monument, je la rendis à sa grand-mère dont le courroux baissa par degrés, comme les bouillons d’un vase qu’on a retiré du feu.
Jamais un Juif ne passe sous l’arc de Titus.
Je redescendis lentement le clivus oriental de la voie Sacrée entre les ruines de ces boutiques où Horace a peut-être acheté quelque chose, jusqu’à l’endroit où devant la Meta sudans on énumère autour de soi, en partant de sa gauche, le temple de Vénus et Rome, le bout des thermes de Titus, le Colisée, une échappée des terrassements de Claude sur le Cœlius et, sur la droite, un troisième édifice triomphal, l’arc de Constantin, entrée du vallon qui conduisait à la voie Appienne.
Après m’être attaché plus que de coutume aux arcs de Titus et de Septime-Sévère, il me parut à propos de les comparer au troisième, qui est, comme celui de Septime, à trois arcades ouvertes. C’est l’arc de Constantin, qui produit l’impression la plus vive ; on l’admire avant d’avoir rien analysé. Peut-être manque-t-il un peu d’épaisseur ; mais de face, il séduit par sa grandeur, par l’accord des proportions, par la belle ordonnance de ses dispositions principales. C’est le plus beau des trois ! s’écrieront presque tous les voyageurs ; mais il n’en est guère qui auront examiné les détails assez pour s’en souvenir. Voilà son seul défaut : l’abus des richesses ; il n’incline à la décadence que par le parti pris d’amonceler des merveilles. Ce qu’il y a là de figures exquises, de groupes charmants, de bas reliefs formant des tableaux composés de main de maître, ne saurait s’énumérer.
Mais ce n’est pas pour célébrer les défaites de Licinius et de Maxence que furent sculptés tant de chefs d’œuvre. Deux siècles avant Constantin, le sénat et le peuple avaient voulu honorer un souverain adoré, l’empereur Trajan. Le désir de mettre en lumière tant de faits glorieux avait inspiré aux artistes ce plan qui multiplie les compartiments sur les façades, qui admet outre de triples frises sculptées, huit médaillons, huit autres bas-reliefs carrés de chaque côté de l’inscription sur les attiques, plusieurs sujets aux soubassements des piliers ainsi qu’aux épaisseurs de l’arc ; enfin huit statues de rois captifs pour continuer, adossées aux pilastres sur la corniche, les huit colonnes cannelées en jaune antique qui portent l’entablement. Cette complication, objectent les puristes, est l’indice d’une altération de goût. J’y verrais plus volontiers un indice d’enthousiasme pour un héros dont on voulait mettre toute la gloire en évidence, à un moment ou le Panégyrique de Pline était dans toutes les mains.
On s’accorde à considérer les dix-huit principaux bas-reliefs de l’arc constantinien (les trois quarts de l’œuvre) comme ayant été travaillés pour célébrer sur un arc antérieur : l’Entrée de Trajan à Rome, les Restaurations de la via Appia, les Distributions de vivres à l’armée, les Triomphes sur le roi d’Arménie et sur Décébale, roi des Daces, la Proclamation d’un nouveau roi des Parthes, la Conspiration de Décébale déjouée, divers Sacrifices aux dieux, etc., etc. — Ces assertions sont incontestables ; mais ce qui ne l’est pas moins et ce