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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/45

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vait ? — Quand il eut fini, je pris la parole et lui répondis que je n’avais rien à faire à Nioro, qui n’était pas sur ma route, que je n’étais pas venu pour voir Mustafa non plus que lui, que j’allais à Ségou, que j’étais parti parce que je croyais le pays soumis à El Hadj, que j’avais trouvé une première route fermée, que si la deuxième l’était, je n’en irais pas chercher une troisième, mais que je partirais pour Saint-Louis et non pour Nioro. — J’ajoutai que je lui avais déjà demandé un guide pour Diangounté, que s’il ne m’en donnait pas je partirais quand même le lendemain, et que je me plaindrais à El Hadj de tous ces retards et de la mauvaise volonté qu’on nous aurait montrée.

Il insista ; mais voyant que j’étais bien décidé, il se rabattit sur une autre proposition : c’était que je voulusse me rendre à Farabongou, où se trouvait un sofa[1] d’El Hadj, qui avait envoyé pour me saluer un homme qui assistait au palabre, et qu’on me présenta alors. Devant cette insistance, je laissai éclater ma mauvaise humeur, et je déclarai très-vivement que j’irais à Diangounté ou à Saint-Louis, et nulle part ailleurs.

Quand il me vit si décidé, Ousman se prit à avoir peur de ce que je pourrais dire ; il se radoucit, et me dit du ton le plus gracieux qu’il m’avait proposé cela pour m’être agréable, mais que je n’en ferais que ce que je voudrais, et que personne, à coup sûr, ne me contrarierait. Ce fut la fin de ce palabre.

Peu d’instants après lui succéda un autre personnage important, Dandangoura, chef du Farabougou. C’était un gros homme, coiffé d’un fez rouge, entouré d’un immense turban. Il arrivait monté sur un magnifique cheval de haute taille et de race maure, suivi
Tierno Ousman et ses masseurs — Dessin de Émile Bayard d’après l’album de M. Mage.
d’une vingtaine de cavaliers. Il portait pour vêtements le pantalon de Haoussa à longues jambes étroites dans le bas brodé sur les coutures et le boubou lomas brodé de soie sur un autre petit boubou, connu sous le nom de Turkey, qui est presque le vêtement national des Bambaras. Il était, bien entendu, accompagné de son griot, de son forgeron et d’un certain nombre de talibés. Il vint s’asseoir dans ma case avec tout son monde avec un sans-façon qui me déplut tout d’abord. La case était petite, nous y étions les uns sur les autres. La chaleur était si étouffante qu’il ne tarda pas à se débarrasser de son turban, et que je vis que la sueur ruisselait dessous. L’odeur de tous ces nègres devenait insupportable, et les discours que j’entendais n’étaient pas faits pour diminuer mon malaise et ma mauvaise humeur. Dandangoura commença par me dire qu’il fallait attendre qu’on allât rassembler une armée pour me conduire, parce que les chemins étaient mauvais. — Ma réponse fut la même qu’à Ousman : — Demain je partirai pour Diangounté ou pour Saint-Louis. — Croyant peut-être m’intimider, il me dit alors qu’il était sofa d’El Hadj, qu’il commandait le pays, et qu’il n’avait pas confiance, qu’il voulait voir si j’avais des lettres pour son maître. Je les lui montrai immédiatement ; mais comme il voulut les ouvrir, je me mis en colère comme je l’avais fait à Koundian en pareille occasion, et je déclarai que je ne le souffrirais pas, et que

  1. Le sofa est un esclave guerrier, ou plus spécialement un esclave mâle employé à soigner les chevaux ou à accompagner son maître à la guerre.