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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/47

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bord d’un lac magnifique ; des myriades d’oiseaux blancs, de la famille des échassiers, tranchaient sur la verdure des hautes herbes ; moins de trois quarts d’heure après, nous étions à Tinkaré, village composé de quelques cases en paille et d’un tata en construction dans lequel nous allâmes nous loger.

Ce village tire de la pêche toujours très-abondante du lac voisin une source de revenu ; les indigènes font sécher les produits de cette pêche et vont les vendre assez loin. Mais dans ce moment il nous fut impossible de nous procurer du poisson frais ou sec.

Le chef vint nous apporter trois poules, et des niébés ou haricots indigènes pour les animaux. Mamboye et Alioun allèrent à la chasse et nous rapportèrent trois pintades ; à la nuit on donna onze calebasses de couscous aux hommes, et tout s’annonçait bien, à l’exception des moustiques, lorsqu’on nous ramena Samba Yoro, qui, sorti du tata, était tombé dans un trou et s’était luxé légèrement le genou. Il fallut lui panser et lui soutenir la jambe. Je lui donnai donc mon maigre matelas. Le lendemain, et pendant longtemps encore, il ne put continuer la route qu’à cheval ou à âne.

Le 8 février, je fus réveillé le matin par un lion qui était en chasse ; étant sorti un instant du village lorsqu’il faisait à peine jour, je l’entendis rugir près de moi ; je me hâtai prudemment de rentrer, et le soir, des Maures vinrent m’apporter des queues de girafes à acheter, et me dirent qu’il y avait beaucoup de ces animaux dans cette région.

Après trois heures et demie de marche nous arrivâmes à Dianghirté ; appellation récente dont, suivant les noirs, El Hadj a baptisé d’un mot du Coran, l’ancien village de Diangounté. Ce dernier nom ne sert plus que pour désigner le pays dans lequel nous étions entrés.

Peu d’instants après notre arrivée, Tierno Boubakar Sirey, chef du grand village, vint me trouver à cheval, suivi d’une foule de Talibés, au milieu desquels se trouvaient plusieurs individus parlant un peu le français, et entre autres un nommé Boubakar Diawara, de Saint-Louis, qui nous dit que sa femme, Maram Tiéo, était encore en cette ville ainsi que sa fille Roqué N’diaye, bien connue de mes laptots comme une des jolies filles de l’île.

Le palabre d’arrivée commença par le récit que fit Fahmahra, en toucouleur, de notre voyage depuis Koundian, et des raisons pour lesquelles nous passions à Dianghirté. Je me plaignis ensuite, de l’insistance qu’on avait mise à me faire aller à Nioro. Tierno Boubakar me répondit simplement que j’étais le bienvenu, et qu’il ferait pour moi tout ce qu’il pourrait. Puis il répéta en bambara, au chef des Kagoros, nommé Lagui, ce qu’il venait d’apprendre, et celui-ci le répéta à haute voix à ses hommes avec de courtes mais énergiques protestations en faveur d’El Hadj et de ceux qui venaient vers lui. Ensuite ils me quittèrent pour aller conférer entre eux.

Tierno Boubakar Sirey est un vieux Toucouleur du Fouta-Toro, un Torodo de la famille des Li. Lorsque El Hadj fonda une maison (comme on dit ici) sur les ruines du village pris aux Bambaras, après avoir tué Niéma Niénancoro Diam, leur chef, il en confia le commandement à Boubakar. La figure de ce chef est avenante et ses traits sont empreints d’une grande bienveillance ; il nous plut tout d’abord, et ses actes n’ont pas démenti notre bonne opinion.

Déjà son vieil homonyme Boubakar Djawara s’était établi notre compagnon ; il était venu m’apporter des œufs, des poules et des guertés ou arachides.

Peu après le palabre, les Bambaras vinrent nous construire deux cases en nattes. Le procédé est bien simple : on perce des trous de trente à quarante centimètres en terre, disposés en cercle ou en carré ; on y plante des piquets, dont l’extrémité est en forme de fourche ; on réunit ces diverses fourches par des bâtons plus ou moins droits, plus ou moins gros, toujours très-irréguliers, et on couvre le tout avec les secos empilés sans beaucoup d’ordre ; quelques cordes en écorce d’arbre terminent et consolident le tout.

Ces Bambaras travaillaient avec un désordre qui me frappa ; ils criaient, se disputaient. Personne ne conduisait l’ouvrage ; ils faisaient, défaisaient, et, malgré leur ardeur, ma case fut très-lestement construite ; c’était bien l’image de leur vie et de celle des nègres en général : le désordre sous toutes ses formes !

J’achetai alors un joli mouton pour dix coudées de guinée et deux bouteilles de beurre pour six coudées. Vers quatre heures, le chef nous envoya deux poules et du riz, en nous faisant dire que c’était pour notre souper seulement. Une heure après, il vint lui-même m’amener un jeune bouvard, grand comme un âne, s’excusant de m’offrir un aussi petit bœuf en prétextant la rareté des bestiaux. Puis il me donna un énorme toulon ou sac de cuir, rempli de mil pour les chevaux et les animaux porteurs, et me dit qu’on s’occupait du souper des hommes, et qu’il m’enverrait du lait le soir.

En effet, à la nuit, mes hommes reçurent un plantureux couscous, et moi environ six litres de lait ; nous nagions dans une abondance d’autant plus grande que Fahmhara recevait de son côté des cadeaux. Le lendemain matin, j’étais à peine éveillé après une nuit réparatrice, que je reçus une calebasse de lait, et, vers neuf heures du matin, le vieux Tierno vint me faire sa visite et m’apporta pour mon déjeuner trois poules et une calebasse de riz du pays de très-belle qualité. Il amenait à la visite du docteur une foule de malades. Il serait trop long de faire l’énumération des maladies impossibles qu’ils nous décrivaient, il y avait des blessés dont quelques-uns souffraient depuis deux et trois ans ; il y avait des ulcères, des ophtalmies, dysenteries, maladies de peau, etc., etc. Nous y eussions épuisé notre pharmacie, dont les ressources étaient nécessairement limitées. Il fallut compter, et s’il y eut beaucoup d’appelés, il y eut peu d’élus.

Le Diangounté, Ghiangounté de Raffenel, qui n’a pu y parvenir, est un pays qui fut toujours indépendant,