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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/58

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qu’ils étaient encore à Ségou, dans le mois de février, MM. Mage et Quintin sont arrivés dans cette ville et ont été parfaitement reçus par le fils d’El Hadj Omar qui y règne ; ils faisaient leurs préparatifs de départ pour se rendre à Hamd-Allahi, capitale du Macina, où se trouvait El Hadj Omar.

« Dans le cours de son voyage de Koundian à Ségou, M. Mage avait été attaqué par des pillards ; mais grâce à son escorte, aidée par un renfort que lui avait donné Boubakar Cirey, chef du Diangounté, il avait mis ces malfaiteurs en déroute et leur avait fait deux prisonniers qu’il avait remis au fils d’El Hadj Omar, etc., etc. »

Voilà comme on raconte l’histoire en Afrique ! Eh bien non, et je m’en félicite, je n’étais pour rien dans cette aventure, je n’avais contribué en rien à réduire en esclavage trois pauvres êtres, dont deux étaient déjà. vieux, qui fuyaient la tyrannie de leurs conquérants et allaient se réfugier chez leurs frères. On me donnait un rôle belliqueux, mais je préfère y renoncer en faveur de la vérité.

Le soir de ce même jour nous arrivâmes à Banamba, le plus grand village que j’eusse vu jusqu’alors.

Banamba est un village de Soninkés. Le chef était allé dans un village voisin prélever l’impôt du mil, pour Ahmadou. En son absence, deux notables du village vinrent me souhaiter la bienvenue et tentèrent en vain d’éloigner la foule qui m’entourait de cercles concentriques et multipliés. Peu après, le chef revint en personne de son excursion et n’eut pas plus de succès. La foule s’éloignait à sa voix, puis revenait bientôt. Je pris alors un moyen héroïque, je les aspergeai d’eau. Mes hommes allaient en chercher aux puits du village, qui avaient neuf brasses de profondeur, et je la leur jetais à la figure. Les noirs craignent l’eau autant que les chats ; par ce moyen, j’obtins un peu de tranquillité. Dans une ville d’Europe, un étranger qui agirait ainsi serait écharpé. Là-bas, personne ne songea à s’en formaliser, et j’y gagnai peut-être en considération.

Quelques instants après que le chef m’eut quitté, je reçus un mouton gras avec une calebasse de riz pour mon souper, du bois pour le faire cuire et deux grandes calebasses de mil pour mes animaux. Cette provende arrivait à point. Les chevaux surtout étaient sur les dents. Depuis Dianghirté, celui du docteur tenait encore, mais le mien n’allait plus ; quoique encore assez gras il buttait à chaque pas, et trois fois dans la journée il était tombé sur les genoux. Une fois il n’avait pu se relever. Le soir, une grande discussion s’entama entre Famahra et les Diulas qui étaient venus avec nous, au sujet des captifs. Ces derniers voulaient les vendre de suite et faire le partage après avoir retiré le cinquième du butin, part d’Ahmadou. Famahra s’y opposait et voulait conduire les captifs à Ahmadou, qui déciderait de ce qu’on devrait en faire.

Avec la nuit, la brume se changea en petite pluie qui bientôt traversa le toit de notre hangar. De crainte de voir nos marchandises et notre couscous avariés, je les fis couvrir avec les tentes et couvertures et nous passâmes la nuit sans dormir. Je n’étais pas préparé à la pluie ; c’est presque un phénomène anomal, en cette saison, et cependant, ainsi que je le vérifiai, trois ans durant, il se reproduit chaque année au moins une fois, de décembre à janvier et quelquefois jusqu’en février. Le lendemain tout était trempé, et quelque pressé que je fusse de me mettre en route avant qu’il n’arrivât de complications de la part des Bambaras du Bélédougou, il fallut nous sécher et surtout sécher les bagages. J’en profitai pour aller voir le village.

Ses rues sont larges, sinueuses ; les maisons n’ont qu’un rez-de-chaussée à terrasse, elles ont des portes dans lesquelles on peut entrer debout ; ce sont les premières que je rencontre ainsi faites. Dans l’intérieur des cours, on voit quelques cases en paille. Quelques petites places, généralement ombragées par un arbre, semblent le siége de petits marchés. Dans un coin, sous un Karite (Shéa ou Cé en Bambara), je vis confectionner des espèces de galettes en farine de mil, cuites au beurre végétal et connues dans le pays sous le nom de momies ; j’eus la curiosité d’en goûter. J’en trempai dans du lait. Quand on a faim, cela passe ; mais le goût en est bien rance et la pâte bien aigre. Une poterie en forme d’écuelle servait de poêle ; une petite cuiller en fer, plate et ressemblant à une spatule, servait à retourner cette galette et à mettre du beurre qu’on garde dans une petite calebasse et qu’on ne prodigue pas, bien que pour mon compte, je trouvasse qu’il y en eût encore trop. C’est là tout ce que je vis du village à cause de l’heure matinale et du temps de pluie qui confinait tout le monde dans les cases.

Quant à la plaine qui entoure le village, elle est magnifique : de distance en distance des baobabs monstrueux, des cailcédras l’ombragent un peu, mais en somme, elle est dénudée de haute végétation par les cultures qui s’étendent à perte de vue.


Départ de Banamba. — Difia. — Sikolo. — Le terrain s’abaisse. — Dioni. — Kéréwané. — Encore une mauvaise nuit. — Bassabougou. — Bokhola. — Tamtam de guerre. — Morebougou. — Le Doubalel. — On dit Yamina révolté. — Arrivée à Yamina. — Aspect du Niger.

À neuf heures, en voyant le temps s’éclaircir, je me décidai à partir et fis charger rapidement les bêtes. Famahra se disputait toujours pour les captifs faits la veille ; aussi je le laissai et, conduit par le guide, je m’acheminai vers Difia. Au moment du départ, le chef de Banamba vint me dire adieu. Je m’aperçus alors que je partais sans lui avoir rien donné ; mais, ne voulant pas défaire les charges, je lui dis d’envoyer quelqu’un à la première station ou je lui donnerais un bonnet rouge. En effet, en arrivant à Difia, je fis ouvrir une cantine destinée aux marchandises et remis l’objet en question à son captif qui m’avait suivi. J’étais déjà entouré de la plus grande partie du village ; c’étaient des Soninkés dont quelques-uns avaient vu des blancs à la côte. Ils me sollicitèrent très-vivement de rester dans leur village. Peut-être était-ce par intérêt et dans l’espoir d’un