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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/60

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vous arrivez jusqu’au Niger, le seul fait d’avoir vu ce fleuve vous créerait de suite une position hors ligne. » Avec des ressources bien faibles, j’avais réussi où tant d’autres depuis Mungo-Park avaient échoué, et j’arrivais au grand fleuve sans avoir perdu un seul homme, presque sans avoir diminué mes ressources en marchandises. Allais-je pouvoir terminer ma mission avec un aussi plein succès ? Descendrais-je le fleuve ou reviendrais-je par Bamakou rejoindre Kita, en complétant ainsi la première route que j’avais suivie ? Il ne fallait pour cela qu’une forte escorte armée et, le pays étant révolté, il était de l’intérêt d’Ahmadou de l’expédier. Je partirais avec elle. Non ! Rêves, châteaux en Espagne, vous me berciez, et je devais me relever, comme une bête prise au piége, entouré de tous côtés d’une barrière infranchissable. Je devais apprendre à compter avec la force d’inertie, les lenteurs, la mauvaise foi, la ruse des noirs. Je devais passer vingt-sept mois sur les bords de ce fleuve que j’avais tant désiré d’atteindre !


Entrée à Yamina. — Nous sommes assaillis par la foule. — La maison de la fille d’Ali. — Sérinté. — Les Maures battus. — La maison de Sérinté. — Nous sommes assaillis par les Maures. — Position critique de Yamina. — Visite à Sambara Sacco. — Promenade au marché.

Après nous être rassasiés de la vue du grand fleuve, nous continuâmes à tourner la ville, longeant le rang de maisons qui fait face au courant. La berge, en cet endroit, est défendue, contre les empiétements du Niger à chaque saison des pluies, par une espèce de quai irrégulier au pied duquel on vient jeter les immondices et les ordures des cases qui s’ouvrent par de petites portes sur cette berge et sur la plage de sable qui s’étend entre elle et l’eau.


Le Doubalel de Morébougou (voy. p. 59). — Dessin de Tournois d’après l’album de M. Mage.

Nous entrâmes en ville par une petite place où travaillait un forgeron sous une échoppe composée de quatre piquets et de deux nattes grossières ; on nous fit alors arrêter, dans une encoignure, à la porte d’une maison que je pris d’abord pour une entrée de mosquée, tant elle était ornée de ces sculptures grossières en terre moulée qui sont un des cachets de l’architecture de ces pays et qui rappellent de loin les arabesques des architectes maures.

Je sus, plus tard, que c’était la maison habitée jadis par une fille du dernier roi de Ségou, Ali fils de ce Mansong qui régnait lors du passage de Mungo-Park.

Nous déchargeâmes les animaux, je fis entasser les bagages dans le coin, et je m’étendis sur mon fragment de matelas ; j’étais exténué de fatigue. Le docteur en fit autant et nous attendîmes là une demi heure, entourés d’une foule sans cesse grossissant, que nos hommes maintenaient à grand-peine, tant elle se pressait et se poussait pour voir un blanc. Comme partout, les Maures étaient les plus empressés et les plus curieux, mais aussi les plus insupportables.

Notre position devenait intolérable, quand Famahra arriva suivi d’un vieux noir qui, tout d’abord, employa son autorité à faire asseoir la multitude dont la muraille vivante menaçait de nous étouffer. Ce ne fut pas sans peine qu’il y parvint. Il criait acigui ! acigui ! (asseyez-vous ! ou assis !) On s’asseyait, mais bientôt de nouveaux curieux arrivaient et c’était à recommencer.