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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/87

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entendait quelquefois des plaintes et, disons-le à la honte du mari, il les accueillait généralement d’une façon trop énergique. Alors, au lieu de tendres paroles, c’étaient des pleurs qui nous parvenaient.

De ce côté, la muraille n’avait guère qu’un mètre vingt-cinq centimètres de haut, de telle sorte que nous suivions jour par jour les événements de ce ménage. Une fois, à la suite d’une querelle, Coumba, la jeune femme, disparut. On la ramena et le ménage vécut encore quelque temps d’amour, de querelles, et de l’air du temps ; puis Coumba repartit, revint et partit définitivement séparée légalement, et peu après cette jeune divorcée, qui n’avait pas quinze ans, se remariait avec un ami de son premier mari ; il était un peu plus à l’aise que celui-ci.

Pendant ce temps, les pleurs et les cris des veuves ne cessaient pas dans nos environs, ce qui témoignait assez du grand nombre des pertes éprouvées par l’armée royale. Un jour, l’un des captifs venus de Koundian avec Fahmara nous annonça que notre infortuné guide avait été tué. Son griot et ami Niansa était revenu avec son cheval et ses harnachements, son fusil et sa poire à poudre ; c’était tout ce que nous devions recevoir de ce pauvre garçon.

Puis j’appris quelques jours après que Kourouha, le chef des Sofas qu’on avait placés à notre porte lors de notre arrivée et qui s’était joint à cette expédition, avait la jambe cassée.

À partir de cette date, les bruits publics, qui tiennent lieu à Ségou de presse et de journaux, devinrent de plus en plus inquiétants ; ils constataient tout à la fois l’impossibilité de la continuation de notre voyage vers l’Est
Maison du griot Soukoutou, à Ségou. — Dessin de Tournois d’après l’album de M. Mage.
et la difficulté de notre retour au Sénégal. Il devint évident que la révolte des Bambaras enlaçait comme d’un cercle de fer le centre de la puissance d’Ahmadou et de son père El Hadj, depuis les montagnes du Djalonkadou au sud-ouest, jusqu’aux environs du lac Debou vers le nord-ouest. Bientôt on en vint à dire tout bas qu’El Hadj, le prophète, battu par les Kountahs de Tombouctou, répudié par ses propres coreligionnaires et compatriotes du Macina, avait été contraint d’abandonner Ham-Allahi sa capitale et de se réfugier dans la région sauvage du sud. Enfin on sut que Mari, représentant des anciens rois indigènes du Ségou, venait de franchir le Bakhoï ou rivière blanche, avec une armée recrutée parmi les Bambaras méridionaux.

Le 25 janvier, on disait que les Bambaras avaient repoussé l’armée d’Ahmadou en rase campagne, après lui avoir enlevé son tabala et ses poudres, et étaient entrés ensuite dans le village de Toghou.

Nous apprîmes bientôt qu’Ahmadou, furieux de ce nouvel échec et comprenant peut-être qu’il jouait sa dernière partie, s’était décidé à prendre le commandement de l’armée en personne. Il avait envoyé chercher des renforts de tous côtés et s’était fait précéder à l’armée par Oulibo et Turno Abdoul, ses lieutenants les plus accrédités. Tout le monde, à part quelques vieillards impotents, faisait ses préparatifs de départ ; la situation était grave ; Ahmadou battu ne rentrerait pas dans Ségou ; je n’apprendrais peut-être sa défaite qu’en tombant au pouvoir des Bambaras, et dans ce cas ma mort serait immédiate. Ces réflexions me décidèrent à lui de-