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Page:Le Tour du monde - 17.djvu/99

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C’était la première fois de ma vie que je faisais une chasse à courre ; j’éprouvai de vives émotions, et, je dois le dire, cette journée me restera comme un des souvenirs agréables de mon voyage.

Cette vie au grand air m’avait rendu mon énergie ; je me sentais revivre ; je n’étais plus, comme à Ségou, indifférent à tout ; la moindre chose attirait mon attention, et malgré les fatigues de la route, je trouvais le temps de noter mes impressions.

Le 7 avril, nous arrivâmes en vue de Dina, but de l’expédition. — C’est, ou plutôt c’était un village situé sur la rive droite du Niger, au sommet de la berge que le fleuve vient battre pendant les grandes eaux. Un mur de terre muni de quelques angles rentrants et de nombreuses meurtrières, croisant leurs feux, lui servait de ceinture. Ce rempart et les terrasses des maisons qui l’avoisinaient, étaient couverts de Bambaras, dont l’attitude et les armes témoignaient de la résolution où ils étaient de nous attendre et de se défendre.

Les colonnes d’assaut s’organisèrent immédiatement. À gauche, marchait la compagnie des Talibés avec son drapeau noir.

Au milieu, l’armée conquérant de Ségou (les Toros), avec un drapeau rouge et blanc.

À droite, les Sofa et Toubourous, groupés sous leur drapeau rouge.

Ahmadou était comme d’habitude en arrière du centre avec sa garde et les porteurs de bagages ou les captifs, tenant les chevaux de ceux qui allaient monter à l’assaut…


Jeunes filles peulhes des environs de Ségou (voy. p. 98). — Dessin de Émile Bayard d’après l’album de M. Mage.

Mais le Tour du Monde n’est pas un recueil de bulletins de guerre. Je n’infligerai pas à ses lecteurs le récit d’une lutte qui, du reste, ne fut que la répétition de celle que je leur ai dépeinte succinctement lors de l’expédition de Toghou. À deux mois d’intervalle et à soixante lieues de distance, je vis se renouveler les mêmes scènes ; même bravoure mal habile et mal armée chez les assaillis, même fougue indisciplinée et flottante chez les assaillants ; même résignation désespérée chez les premiers après la défaite, même fureur sans pitié chez les seconds après la victoire. Toujours le pillage suivant le massacre, toujours, de sang-froid, les femmes et les enfants livrés en proie à la soldatesque, et les hommes faits au bourreau. Réduite à ses proportions bestiales, et dépouillée du prestige de l’art et des combinaisons de la stratégie, la guerre est doublement horrible.

Après la prise et le sac de Dina, Ahmadou remonta deux jours encore la rive gauche du Niger, abandonnant aux flammes et au pillage les malheureux villages échelonnés le long du fleuve dont la vallée se resserrait de plus en plus entre deux rangées de montagnes. Devant Manabougou, la plus méridionale de ces localités condamnées, le fleuve offrait un gué praticable. L’armée en profita pour passer sur l’autre rive et reprit immédiatement le chemin de Yamina.

Cette route était celle que, soixante-sept ans auparavant, Mungo-Park avait suivie en revenant de Ségou, et par laquelle, un bâton à la main, épuisé de fatigues et de misères, à bout de forces et de ressources, mendiant de village en village, il s’était efforcé de regagner les comptoirs anglais de la Gambie. Plus heureux, si l’on veut, j’y cheminais sous la protection d’une horde de conquérants barbares qui me respectaient comme l’hôte et l’allié de leur souverain.