est difficile de prévoir quelle influence exercera sur cet état social le nouveau courant d’immigration française.
Je dois constater comme un fait l’influence prépondérante que le clergé canadien exerce sur les intelligences, et souvent sur la direction de la politique intérieure, dans un pays où les libertés de presse, de réunion et d’association règnent cependant d’une façon aussi absolue qu’en Angleterre et en Amérique, où toutes les croyances sont également protégées, sans contrôle de l’État et où les catholiques subviennent seuls aux frais de leur culte en payant à leurs pasteurs la redevance de la dîme, cet impôt dont le souvenir est resté si antipathique à nos paysans d’Europe. Ce qui fait de Québec la tête du Canada français, ce n’est pas seulement la présence du lieutenant-gouverneur et des deux chambres du Parlement provincial, c’est surtout l’université Laval, ainsi nommée en l’honneur du premier évêque du Canada, Mgr Laval. Cette université, fondée par le clergé de Québec, qui y a dépensé deux millions, a été longtemps le seul établissement d’instruction supérieure dans l’Amérique du Nord où l’enseignement fut donné en français. Depuis lors, son succès lui a suscité une concurrence dont l’effet ne pourra être que très-salutaire. L’université anglaise de Victoria, dont le siège est à Cobourg, dans la province l’Ontario, s’est « incorporé » une branche française établie à Montréal et comprenant les facultés de droit et de médecine. D’après les renseignements qui m’ont été donnés, l’université montréalaise serait même plus fréquentée actuellement que celle de Québec.
Pendant mon séjour à Québec, le Parlement provincial n’était pas en session. Je n’ai donc pu juger de l’éloquence des orateurs franco-canadiens qui composent la grande majorité des deux assemblées. En revanche, la bibliothèque du Parlement m’a été montrée en détail par son conservateur, M. Lemay, littérateur distingué, auteur d’une traduction en vers français de l’Évangéline de Longfellow, ou d’un poëme sur la Découverte du Canada qui mériteraient d’être connus en France. Cette bibliothèque renferme une très-curieuse collection d’anciens ouvrages français relatifs au Canada, des réimpressions des plus importants et des plus rares d’entre ces ouvrages et la collection de toutes les brochures publiées depuis la conquête.
Malgré son ancienneté, ou plutôt à cause de son ancienneté même, Québec est loin d’être une jolie ville dans le sens moderne du mot. Ses rues généralement escarpées, étroites et toujours irrégulières, sauf dans le faubourg Saint-Roch, ses maisons petites et souvent bâties en bois, même dans le quartier commercial, en font une ville à part sur ce continent où la ligne droite et l’architecture à prétentions babyloniennes des Anglo-Américains règnent sans partage de l’un à l’autre Océan. La municipalité, qu’on appelle la « corporation », se ressent, elle aussi, à ce que prétendent ses critiques, de cette atmosphère de vétusté relative. La propreté et le pavage laissent en effet à désirer. Quelques rues, surtout dans la vieille ville, sont entièrement pavées de vieux madriers. Les trottoirs, là où il y en a, sont toujours en planches.
Comme toute ville qui se respecte, Québec possède une promenade à la mode : c’est l’esplanade située au-dessous de la citadelle, à peu de distance du monument élevé à la mémoire de Wolfe et de Montcalm, et d’où l’on jouit d’une vue splendide sur le fleuve l’île d’Orléans et les quartiers de la basse ville. C’est là que, le soir, on peut admirer à son aise les plus