bois sont loin d’y être aussi beaux, aussi précieux qu’au Canada ; ils n’en offriront pas moins d’immenses ressources aux premiers colons.
En résumé, nous trouvons près de 50 millions d’hectares — l’étendue de la France — susceptibles de culture dans un avenir plus au moins rapproché. Si l’on réfléchit que ces 50 millions d’hectares cultivables sont adossés à près de 85 millions d’hectares de forêts, qu’ils avoisinent, en outre, 15 millions de terres impropres à la culture, mais éminemment favorables à l’élevage en grand du bétail (le Désert, qu’ils ont devant eux une superficie égale à près de six fois la France (300 millions d’hectares) en territoires de chasse où les facilités de communication parviendront peut-être à créer une certaine activité industrielle par la découverte et l’exploitation des divers minerais que recèlent les roches primordiales du terrain Laurentien, on croira comme nous que le Nord-Ouest peut nourrir une cinquantaine de millions d’hommes, — au prorata de la Russie du Centre et du Sud, située à peu près sous la même latitude et dans les mêmes conditions de climat. Ajoutez à cela les 100 millions d’hectares des deux Canadas et des Provinces Maritimes, les immenses étendues, encore inexplorées pour la plupart, de la terre de Rupert et du Labrador, au nord de la Hauteur des Terres, et vous arriverez aisément au chiffre de 100 millions d’êtres humains pour la population future de l’Amérique anglaise du Nord. Si notre race maintient, vis-à-vis de ses rivaux, les proportions actuelles, c’est une nation néo-française de 40 millions d’âmes qui prospérera un jour au nord des grands lacs et du 49e parallèle, si même d’ici là la loi mystérieuse qui préside aux migrations des peuples ne déplace point l’équilibre au profit de la race la plus septentrionale.
De telles destinées valent bien la peine qu’on détourne un moment les yeux de l’Europe, où, selon les pessimistes, l’étroitesse de notre territoire et le faible accroissement de notre population sembleraient nous condamner dans l’avenir à un rôle peut-être trop secondaire.
XVII
Le 13 octobre étant le jour fixé pour l’élection du comté de Provencher, élection d’où pouvait sortir, suivant l’expression consacrée, la paix ou la guerre entre les partis religieux et nationaux du Nord-Ouest Canadien, je n’avais garde de manquer à la cérémonie. Depuis quelques jours d’ailleurs il y avait du trouble dans l’air. On parlait d’individus embauchés à Winnipeg pour aller en armes influencer l’élection. La pratique n’était pas absolument nouvelle, elle n’était même que trop conforme à certains précédents datant d’une ou deux années à peine. À Saint-Boniface, les « Orangistes » avaient envahi, pistolet au poing, un bureau de vote présidé par un métis français, Émilien Genton. Le vieux chasseur de bisons, un hercule carré, était froidement demeuré à son poste en dépit des décharges de revolver, malgré la déroute de ses assesseurs ; il se contentait de répéter, avec un flegme imperturbable : « Nous commencerons à compter les votes quand ces messieurs auront fini leur sabbat. »
Cette fois, ce n’était pas dans la banlieue de Win-