Page:Le Tour du monde - 35.djvu/290

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l’ouest, au milieu de la mer d’herbes des Prairies, de véritables îles de végétation arborescente. Entre autres productions, pommes de terre du poids d’une livre, et betteraves idem, mon hôte me montre sur ses terres quantité de vignes sauvages qu’il compte améliorer par la culture. Il a déjà fait du vin, nullement méprisable à son dire ; mais il est évident que dans un pays où le thermomètre descend régulièrement tous les ans au-dessous de trente-neuf degrés de froid, on ne saurait guère compter sur l’acclimatation des plants d’Europe. Depuis mon départ, plusieurs « townships » ou cantons ont été arpentés dans la montagne de Pembina, et des colons s’y sont établis, notamment des Mennonites.

C’est une secte bien curieuse que ces Mennonites, sorte de « quakers » allemands, dont l’application successive du service militaire obligatoire dans les États de l’Europe moderne est en train de faire un peuple de Juifs errants. Pour échapper aux lois militaires déjà fort raides de la monarchie prussienne, ils avaient dès la fin du dix-septième siècle demandé asile à la grande Catherine, et fondé dans le sud de la Russie des colonies agricoles extrêmement florissantes. La tsarine leur avait garanti, en conformité de leur dogme fondamental, le privilège de l’exemption de tout service armé ; mais après Sadowa et Sedan, la Russie, elle aussi, est entrée dans l’engrenage des armements à outrance, et les privilèges mennonites ont dû être abolis. Plutôt que de céder sur le point capital de leur croyance, ces fervents adeptes de la paix perpétuelle abandonnent leurs établissements vieux d’un siècle. Le parlement d’Ottawa, désireux d’attirer à Manitoba une partie de ces nouveaux émigrants, s’est empressé de leur garantir par une loi en bonne forme l’exemption à perpétuité de tout service dans les milices. On en a fait autant au Kansas, au Brésil et dans l’Argentine. Quatre à cinq mille Mennomites se sont établis à Manitoba, où leurs établissements ont pour centre la petite ville d’Emmerson.

Emmerson, colonie mennonite. — Dessin de H. Clerget, d’après une gravure américaine.

Après un repos de deux jours, M*** me fit reconduire en voiture de Saint-Joseph de Walhalla au poste de Pembina, distance d’environ cinquante kilomètres. Le temps était froid et couvert, bientôt la neige se mit à tomber à gros flocons. Un petit ravin au fond duquel coule la rivière Pembina, près de son confluent avec la Rivière Rouge, sépare le village d’un petit fortin en bois habité par quelques douaniers et soldats américains. Je passe la soirée en compagnie d’un Canadien-Français nommé Giroux, marié avec une excellente petite femme métisse et père d’une nombreuse famille de fort jolis bébés. Giroux avait l’entreprise de travaux qu’on exécutait en ce moment