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Saint-Chaffre. Cette condition étant acceptée, il partit pour Rome avec plusieurs seigneurs du Gévaudan pour solliciter l’approbation du pape Agapit, et en 951 le pape, en présence du sénateur Albéric, rétablit le monastère de Sainte-Énimie. Le monastère fut construit et il devint bientôt le plus renommé, le plus riche et le plus puissant du pays. Son prieur, le Dom de Sainte-Énimie, siégeait de droit aux états du Gévaudan, le premier entre tous les prieurs.

Aujourd’hui il ne reste qu’une partie de l’antique monastère, sécularisé en 1788. L’église, les cellules n’existent plus. La seule construction à peu près intacte est l’ancienne salle capitulaire (fin du onzième siècle), qui a dû servir de réfectoire ; à côté s’élèvent deux grosses tours rondes découronnées et quelques débris des bâtiments claustraux. Au-dessus de la voûte du Réfectou a été établie une terrasse bituminée bordée par une grande construction blanche. C’est une institution très florissante et très renommée dans le pays, dirigée par les Frères des écoles chrétiennes.

Au-dessous des anciens remparts du monastère sort la célèbre fontaine de Burle, aux eaux couleur d’aigue-marine. Plus bas, au raz du Tarn, sourd la font de Coussac, presque aussi forte que celle de Burle. L’afflux de ces deux issues d’un même réservoir double le débit du Tarn et le rend navigable en toute saison.

Un habitant de Sainte-Énimie. — Croquis de Vuillier, d’après nature.
Une dame de Sainte-Énimie. — Croquis de Vuillier, d’après nature.

Sainte-Énimie avait 1 040 habitants en 1734, 1 063 en 1882 ; l’accroissement est peu considérable ; pourtant ses habitants sont très industrieux. D’après l’enquête de 1734 il n’y avait alors ni commerce ni industrie ; « les productions se bornaient à un peu de froment, seigle, orge et quelques légumes ; il y a aussi du vin et très peu de foin. » — Aujourd’hui, grâce au travail persévérant des habitants, partout où cela n’a pas été impossible, le rocher a été taillé ou aménagé en terrasses, la terre a été apportée souvent à dos d’hommes, des amandiers d’espèces choisies ont été plantés, et la conque de Sainte-Énimie rapporte plus de 1 000 hectolitres d’amandes ; des vignes ont été créées, de tous côtés sont de petits jardins, et, lorsque au printemps les amandiers et les pêchers sont en fleur, toute cette conque rocheuse semble une immense corbeille de fleurs, Sainte-Énimie est la capitale du cagnon et d’une grande partie des deux Causses ; aussi, lorsque, le dimanche, les Caussenards arrivent et que toute la population est en fête, il se produit dans la petite ville un mouvement, une gaieté que ne connaît pas plus d’une grande ville. C’est surtout au moment des vendanges ou à la foire d’automne qu’il faut voir la petite ville. Pour une journée c’est réellement amusant.


Si vous le voulez bien, avant de remonter le Tarn jusqu’à Castelbouc nous irons voir un peu le causse Méjan, le causse du Milieu. Séparé des monts du Bougès à l’est et de l’Aigoual au sud parle Tarnon, du causse Noir au sud par le Jonte, du causse de Sauveterre au nord par le Tarn, le causse Méjan est une immense table de calcaire jurassique d’une superficie d’environ 45 000 hectares, sans eau, sans arbres, ayant une altitude moyenne de plus de 1 000 mètres et des couronnes ou mamelons qui atteignent jusqu’à 1 278 mètres dans la partie orientale. Grand îlot, rattaché seulement à la terre ferme par l’isthme large de 1 000 mètres du col de Perjuret qui l’unit au massif de l’Aigoual, le causse Méjan, sauf sur ce point, présente un front de falaises verticales de 120 kilomètres de circonférence, et ses falaises tombent de ressaut en ressaut de 500 à 700 mètres de hauteur absolue sur l’immense fossé de 160 kilomètres de développement au fond duquel coulent, dans une suite de cagnons, le Tarn, la Jonte, le ruisseau de Frayssinet et le Tarnon.

Dix coups de mine, coupant les routes tracées à grand’peine le long de ses murailles, rendraient à peu près inaccessible ce désert de pierre. Par suite de quelles circonstances des hommes se sont-ils acclimatés sur ce grand plateau sans eau, sauf celle des citernes et des lavognes (abreuvoirs de bestiaux, rendus étanches au moyen d’une couche d’argile) ? Battu par tous les vents, torride par le soleil, glacial à la moindre pluie, terrible en toute saison, livré aux chasse-neige en hiver, comment se fait-il que ce causse et les causses voisins, qui maintenant se dépeuplent d’année en année, aient été habités de toute antiquité, comme le