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Nous traversons un défilé, puis la paroi semble s’ouvrir et laisse place au pittoresque hameau de Villaret, aux maisons construites en partie dans des grottes ou baumes entourées de bouquets de grands arbres ; Le porche de l’une de ces maisons, établie sur une table de pierre, porte la date de 1780.

Le sentier monte et descend suivant les caprices de la roche, qui tantôt s’avance et se penche vers le Tarn, tantôt recule et escalade la muraille du causse. Sur la rive gauche, la gigantesque paroi du causse Méjan, ayant à sa base un talus gazonné, porte à son faîte une série de roches ruiniformes de l’aspect le plus sauvage : château, bastions, donjons, aiguilles, rochers surplombant, tout cela rougeâtre, presque rouge, vivement éclairé par le soleil. Entre les deux parois, mouchetées de vert, coule le Tarn aux eaux transparentes, couleur d’aigue-marine, ici pailletées d’or, là blanches d’écume, au gré des ratchs ou des planiols.

Souvent une grande roche, ou des bouquets d’arbres nous cachent la rivière et masquent les rochers qui la bordent. Nous ne voyons plus alors que le haut des falaises se découpant sur le ciel en fantastiques silhouettes ; la roche est trouée, évidée, taillée, contournée ; tours, champignons, aiguilles, châteaux forts se multiplient, et, au milieu de ces bizarreries que l’on voit mieux du sentier que du lit du Tarn, circule le sentier de chèvres de la Bourgarié, hameau perché sur le bord extrême du causse Méjan, à 500 mètres au-dessus du Tarn. Si la fantaisie vous en prend et si vous avez bon pied et bon œil, arrivé au Cambon, faites-vous passer en barque sur la rive gauche et, après deux heures de rude escalade, vous pourrez pénétrer par la grande arcade naturelle du pas de l’Are, dans ces citadelles à moitié éventrées, à moitié compactes ; mais, si vous ne voulez pas vous égarer au milieu de toutes ces roches en ruines, prenez avec vous un homme du Cambon ayant fait le trajet : sinon la peine pourrait passer le plaisir. De là, par la Bourgarié, par le mont Buisson (1 069 mètres) d’où l’on a une magnifique et très curieuse vue d’ensemble des grandes tables calcaires du Méjan, de Sauveterre et du causse Noir, avec l’Aigoual et les monts Lozère comme fond de toile, vous pourrez vous rendre à Saint-Pierre des Tripieds et descendre par le ravin du Truel au Rozier.

Si j’osais encore une fois vous dire mon sentiment personnel, je vous déconseillerais cette grimpade enragée ; il y fait réellement trop chaud et trop soif ; dans quelques heures, après vous être reposé au Rozier, vous irez voir sans fatigue Montpellier-le-Vieux avec mon ami M, Martel pour guide, et cette promenade vous intéressera infiniment plus. Croyez-en mon expérience. Bon voilà que j’ai oublié mon exorde.

Après avoir dépassé le Cambon, nous voyons tout à coup la muraille s’ouvrir à notre droite : un large et pittoresque ravin, dont la riche végétation semble hérissés de grandes roches isolées, monte jusqu’au bord du causse de Sauveterre ; à mi-hauteur, au flanc d’une falaise blanche recourbée en hémicycle, s’accroche l’ermitage de Saint-Marcellin.

Le site est fort beau et j’espère bien un jour avoir le temps de visiter cette gorge, dont l’aspect est tout différent de celui des autres parties du cagnon. On voit peu ou mal l’hémicycle de Saint-Marcellin, et même on ne le voit pas du tout, étant en barque, parce que là se trouve un des rapides enrochés les plus dangereux du Tarn et que toute l’attention du voyageur se concentre sur le passage du rapide ; aussi ce beau paysage est à peine connu.

Sur la rive gauche, dans un nid de verdure, se montrent les vieilles maisons du hameau de la Sablière dominé de 600 mètres par la grande masse du Cinglegos, qui semble barrer la vallée ; c’est charmant et très beau, étant très simple.

Plus loin sur la rive gauche est le hameau de Plaisance. Sur la rive droite s’avance, dominant la route de 250 mètres environ, une coulée de basalte noir, sortie du grand ravin des Eglazines. Mais le cagnon s’élargit à droite, et les falaises se changent en talus et en pentes mamelonnées, tandis que la paroi du causse Méjan se continue au sud ; bientôt nous apercevons le pont du Rozier ; le chemin passe au bord du Tarn sur des bandes de roches aplanies par les eaux (et n’offrant aucun danger) ; nous arrivons en vue de Peyreleau, dont la tour drapée de lierre et les maisons en amphithéâtre sur les pentes du causse Noir se détachent vivement sur le bleu du ciel ; et, après avoir franchi le Tarn sur un pont suspendu, nous suivons la rive gauche, contournons le confluent de la Jonte (290 mètres d’altitude), traversons cette rivière, et, après deux heures de marche, nous entrons à l’hôtel Dieudonné.

Il n’est que trois heures : montons un peu sur les pentes du causse Noir ; de là nous verrons mieux le curieux site de Capluc, avec sa chapelle et les restes d’un château perchés sur une presqu’ile avancée du causse Méjan ; nous pourrons aussi de là voir les grandes murailles du causse se profilant à l’est, vers Meyrueis. Mais j’ai peur d’empiéter sur le domaine de mon ami M. Martel, qui, connaissant plus à fond que moi le causse Noir, a bien voulu se charger de le décrire.

Le lendemain, vendredi 10 juillet, à cinq heures trente minutes du matin, je remonte avec Fortuné Paradan la belle vallée de Jonte, entre les falaises du magnifique promontoire du causse Méjan au nord et les murailles moins abruptes du causse Noir au sud. La vallée est très boisée, mais elle est très profonde, et les habitants ont trouvé un moyen ingénieux de faire franchir, sans perte de temps et sans grande fatigue, la profonde coupure de la rivière aux fagots qu’ils vont couper sur la rive gauche ; un épais fil de fer est tendu en travers de la vallée ; on y suspend le fagot, et un homme au moyen d’un bâton frappe ce fil et fait peu à peu descendre le fardeau jusqu’à la route.

La vallée de la Jonte est très pittoresque, et les ro-