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Page:Le Tour du monde - 63.djvu/415

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guerroyant en Espagne, vint offrir son épée à Notre-Dame de Rocamadour. Mais comme il ne pouvait se priver de son arme dans les combats où il était appelé, il se réserva de la déposer au pèlerinage à son retour.

On sait qu’il succomba avec les douze pairs à la suite d’une trahison.

« Lors, dit la chronique de Turpin, demeura parmi le champ de bataille, las et travaillé des grands coups qu’il avait donnés et reçus, et dolent de la mort de tant de nobles barons qu’il voyait devant lui occis et détranchés. Menant grande douleur, il vint parmi les bois, jusqu’au pied de la montagne de Césaire, et descendit de son cheval, dessous un arbre, auprès d’un grand perron de marbre, qui était là dressé en un moult beau pré, au-dessus du val de Roncevaux. Il tenait encore Durandal, son épée. Cette épée était éprouvée sur toutes autres, claire et resplendissante et de belle façon, tranchante et affilée si fort, qu’elle ne pouvait ni casser ni briser. Quand il l’eut longtemps tenue et regardée, il la commença à regretter comme en pleurant, et dit en telle manière : « Ô épée très belle, claire et resplendissante, qu’il n’est pas besoin de fourbir comme toute autre, de belle grandeur et large à l’avenant, forte et ferme, blanche comme ivoire par la poignée, entresignée de croix d’or, sacrée et bénie par les lettres du saint nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et environnée de sa force, qui usera désormais de ta bonté ? Qui l’aura ? Qui te portera ?… Autant de fois j’ai par toi occis ou Sarrasins ou déloyaux Juifs, autant de fois pensais-je avoir vengé le sang de Jésus-Christ. J’ai trop grand deuil, si mauvais chevalier paresseux t’a après moi ; j’ai trop grande douleur, si Sarrasin ou autre mécréant te tient et te manie après ma mort. » Quand il eut ainsi son épée regrettée, il la leva en haut et en frappa trois merveilleux coups au perron de marbre qui était devant lui ; car il la pensait briser, parce qu’il avait peur qu’elle ne vînt aux mains des Sarrasins. Que vous conterait-on de plus ? Le perron fut coupé d’en haut jusqu’en terre, et l’épée demeura saine et sans nulle brisure ; et quand il vit qu’il ne la pouvait dépecer en aucune manière, il fut trop dolent. »

C’est alors que Roland jeta son épée dans un précipice plutôt que de la voir tomber aux mains des ennemis.

On rapporte que son cadavre, sur lequel Charlemagne ne put que pleurer, fut embaumé et transporté à Blaye, où il fut inhumé, son oliphant à ses pieds, son épée au-dessus de sa tête. Plus tard, à la suite d’un vœu rappelé par ses fidèles, le cor fut transféré à l’église Saint-Seurin à Bordeaux et son épée à Rocamadour.

C’est là que Henry au Court-Mantel, qui pilla la basilique en 1183 et se fit proclamer souverain d’Aquitaine, s’empara de la Durandal, à laquelle il substitua la grossière copie que les visiteurs ont sous les yeux.

Une figure d’énormes proportions dégradée par le temps est peinte sur la muraille dans laquelle cette singulière épée est plantée. Elle représente saint Christophe portant sur ses épaules l’enfant Jésus.

Nos ancêtres aimaient beaucoup saint Christophe, qu’ils représentaient si souvent sur les murs des églises. Le merveilleux de son histoire les charmait.

D’après la légende dorée, c’était un naïf géant d’une force surhumaine, qu’un ermite instruisit dans la foi chrétienne.

Mais, comme il ne pouvait se plier au jeûne et aux longues oraisons, il s’inquiéta de trouver un genre de vie plus conforme à sa nature.

D’après la légende, l’ermite lui dit :

« Ne connais-tu pas tel fleuve, où périssent beaucoup de ceux qui essayent de le passer ? » Et Christophe dit : « Je le connais. » Et l’ermite lui dit : « Comme tu es grand de taille et robuste, si tu te tenais près du bord de ce fleuve, et si tu passais les voyageurs, tu ferais une chose fort agréable à Jésus-Christ, que tu désires servir, et j’espère qu’il se manifesterait à toi. » Et Christophe lui répondit : « Voilà un service auquel je puis me consacrer, et je te promets de faire ce que tu me dis là. » Il alla donc près de ce fleuve, et il s’y construisit une demeure, et il se mit à passer sans relâche tous les voyageurs, s’étant muni d’un bâton avec lequel il se soutenait dans l’eau. Et bien des jours s’étant passés, tandis qu’il se reposait dans sa demeure, il entendit comme la voix d’un enfant qui l’appelait et qui disait : « Christophe, sors et passe-moi. » Et Christophe sortit, mais il ne trouva personne ; et, rentré dans sa demeure, il lui arriva la même chose une seconde fois. Appelé une troisième fois, il trouva au bord de l’eau un enfant, qui le pria de lui faire passer la rivière. Et Christophe, ayant mis l’enfant sur ses épaules et s’étant muni d’un bâton, entra dans l’eau. Et l’eau s’élevait peu à peu, et l’enfant pesait sur les épaules de Christophe d’une manière excessive, et son poids augmentait toujours, de sorte que Christophe commença à avoir peur. Et quand enfin il eut passé la rivière et qu’il eut déposé l’enfant sur la rive, il lui dit : « Tu m’as mis dans un grand péril, enfant, et tu m’as surchargé d’un si grand poids, qu’il me semblait que si j’avais le monde entier sur mes épaules, je n’aurais pas un plus lourd fardeau. » Et l’enfant répondit : « Ne t’en étonne pas, Christophe ; car non seulement tu as eu sur tes épaules le monde entier, mais encore celui qui a créé le monde ; car je suis le Christ, celui pour l’amour de qui tu as entrepris cette œuvre, »

Entre la chapelle miraculeuse et la petite église Saint-Michel, sur le plateau, dans l’enceinte sacrée, s’ouvre une grotte taillée dans le roc qui abrita, dit-on, saint Amadour et lui servit de sépulture.

La chapelle miraculeuse élevée par les mains pieuses du saint n’existe plus : un bloc de rocher, détaché de la falaise, l’écrasa dans sa chute. Elle fut reconstruite au xve siècle par Mgr de Bar, évêque et seigneur de Tulle. Une inscription gravée sur le mur extérieur du chevet fixe la date de cette reconstruction.