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Page:Le Tour du monde - 63.djvu/420

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et aujourd’hui la surface du gouffre voit le soleil.

Mais encore, malgré la nudité relative du lieu, lorsqu’on flotte au-dessus de ces abîmes vaguement entrevus, que l’on suit la rivière herbeuse qui distille la fièvre, où serpentent et frissonnent de longues chevelures de plantes, où le brochet féroce se dissimule, où rôde l’anguille sournoise, un sentiment d’inquiétude indéfini ne cesse de vous hanter.

Il me restait encore à voir les gorges de l’Alzou, si belles vers le moulin du Sault, et assez rapprochées de Rocamadour. Quant aux autres curiosités naturelles du causse de Gramat, telles que le puits de Padirac, le Reveillon, etc., mon ami Martel en a dévoilé les superbes horreurs.

À 1 kilomètre à peine des sanctuaires, près du hameau des Alysses, M. Ph. Lalande signale un de ces avens en miniature qu’on peut explorer sans danger. Nous allons donc un jour à travers le causse tout imprégné des senteurs du thym et du serpolet, par les massifs de chênes, sur des dalles de pierre entre lesquelles pousse une herbe fine et savoureuse. Çà et là les baies noires des genévriers s’égrènent sur le sol, et des truffières s’étalent comme des blessures saignantes. Bientôt, vers la fin de novembre, des hommes passeront, tenant en laisse quelque truie famélique ou un petit chien, qui déterreront le champignon odorant. Les maraudeurs déjà errent par là ; une mouche dorée leur indique la place où sont les truffes assez mûres.

L’Alzou, dont nous côtoyons la ravine, a taillé son lit dans la roche vive. Sa profondeur épouvante lorsqu’on se penche sur la prodigieuse fissure qui court en sombre sillon tortueux sur la lumineuse table de pierre.

Aux jours où les vents hurlent par le causse, hérissant les genévriers, affolant les arbres, la gorge sommeille dans un doux mystère, berçant sa solitude aux murmures du ruisseau, au gazouillement des oiseaux chanteurs.

Nous suivons donc le bord de la capricieuse découpure. En face, sur l’autre falaise, moutonnent les bois de la Pannonie qu’on dirait faits de duvet. La brume, qui ajoute tant de charme aux paysages des derniers beaux jours, les enveloppe d’une gaze légère.

La déchirure de l’Alzou.

Nous prenons un sentier qui descend jusqu’au lit de l’Alzou, sentier charmant voilé de demi-teinte, baigné de fraîcheur. Les arbres, des noyers autant qu’il me souvient, élèvent leurs troncs comme des fûts de nacre plaqués de mousses d’or et de mousses vertes. Le ruisseau se devine, il court vivement dans l’ombre, gazouillant et joueur. Il se glisse entre des rocs d’un gris perle très clair, tigrés de mousses d’une