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se prélasse en liberté sur l’avant ; deux terriers viennent jouer avec tout le monde. Mais le favori, c’est « Billy ».

Billy est un chevreuil que six années de séjour à bord, où chacun le gâte à l’envi, ont doué d’un majestueux embonpoint. On le voit partout. Il monte et descend avec la plus grande facilité ces sortes d’échelles qu’on est convenu d’appeler des escaliers. Si vous montrez à Billy un morceau de pain, il vous salue deux fois, puis attend la récompense de ses politesses. S’il vous voit mettre le pain dans votre poche, il y fourrera son museau, soyez-en sûr, et ce sera souvent tant pis pour la poche, car Billy est gourmand et son museau est gros.

Le 29 au matin nous arrivons, après une très belle traversée, à Nagasaki, l’un des plus beaux, sinon le plus beau port du monde.

PONT DE PALIKAO[1] (PAGE 178).

Le Tokio-Maru, qui doit nous porter à Vladivostok, est mouillé à 200 brasses de nous. Je m’’empresse d’aller y retenir une cabine, et d’y transporter nos bagages, puis, comme il ne doit lever l’ancre qu’à 6 heures, nous voulons nous promener encore une fois dans les environs toujours si frais, si verts, si pittoresques, de Nagasaki, où nous venons cependant pour la troisième fois, sans jamais nous lasser d’admirer.

La rade est un grand amphithéâtre oblong ; les montagnes qui l’entourent sont élevées et couvertes d’arbres et de verdure. Çà et là une construction gracieuse à demi cachée dans le feuillage, partout des sources et de petits ruisseaux. Dans le fond, du côté opposé à l’entrée, la ville avec ses temples entourés de sapins. À droite sont les maisons construites à l’européenne.

C’est là que M. Mignard nous a donné rendez-vous pour aller déjeuner dans la campagne.

Nous avions demandé à M. Startseff de nous accompagner, mais il ne le pouvait pas. Avant son départ de Tien-Tsin il avait acheté un petit steamer d’une vingtaine de tonneaux pour faire le service de son île à Vladivostok, et, après quelques réparations nécessaires, ce steamer avait quitté Tien-Tsin le même jour que nous. Étant donnée sa petitesse, il devait suivre les côtes et chercher un abri au moindre coup de vent. On nous avait proposé de prendre passage à bord. Nous avions refusé cette offre peu rassurante. En somme, M. Startseff était inquiet. Il voulait télégraphier à Fou-Sane pour savoir si son bateau y avait touché. Le soir, il reçut une réponse satisfaisante.

Nous partons en file indienne, suivis de Hane, chacun dans un génerikcha tiré par deux hommes.

Nous traversons d’abord la ville, si pittoresque avec toutes ses boutiques diverses, dont la devanture est ainsi faite, que de notre voiture le regard peut plonger jusqu’au fond. Et l’on peut examiner à plaisir, car tout est joli et surtout tout est de la plus exquise propreté.

Les rues sont très animées ; nous allons d’un trot rapide, malgré la foule qui les sillonne. Nos hommes ne cessent de pousser des cris, afin que les passants s’écartent pour nous laisser la voie libre. C’est à peine si les mousmés, toujours si gracieuses, même lorsqu’elles ne sont pas jolies, ce qui est généralement le cas, tournent la tête pour nous regarder. L’Européen n’est plus un objet de curiosité dans les grandes villes.

Tout à coup mon génerikcha s’arrête et un colloque s’engage entre mes deux coulis et ceux d’un véhicule qui vient en sens inverse, Au bout d’un instant, je commençais déjà à m’impatienter, nous repartons, mais j’ai changé d’attelage.

Je suis le plus lourd de la bande, et j’étais tombé sur

  1. Dessin de Berteault, d’après une photographie.