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du saumon, voici, d’après un de nos compatriotes, M. Eugène Ninaud, qui habite la Sibérie depuis une vingtaine d’années et s’est occupé de la salaison et de la vente du poisson à Nikolaïevsk, les chiffres que fournit de ce chef la statistique du port pour l’exportation annuelle :

Pour
Vladivostok 
50 000 pouds
Blagovechtehensk 
100 000 »
Habarovka 
10 000 »
Pour
nourrir les déportés de Saghaline 
40 000 »
Total 
200 000 pouds

On sait que le poud vaut 16 kilogrammes.

De plus chaque habitant conserve 400 ou 500 saumons pour sa consommation personnelle, ou pour vendre au détail ; les Ghiliaks, dont, en somme, c’est la seule nourriture, en font sécher plusieurs milliers par famille.

Sur tout le cours de l’Amour le saumon est traqué. Celui qui à réussi à franchir les terribles barrages de Nikolaïevsk aura à redouter, d’abord les Ghiliaks et les paysans russes de chaque village, puis les Goldes, Les Orotchones, les Mandchous, les Cosaques, les Manegris, enfin tous les riverains dont cette proie facile entretient la paresse.

« Si Je vous disais, ajoute M. Ninaud dans la lettre dont j’extrais ces documents, le nombre de millions de saumons pêchés annuellement dans l’Amour d’après mes calculs, vous ne voudriez pas me croire. Et pourtant je ne puis avoir la prétention d’être exactement informé de tout ce qui a été pris. »

TRAÎNEAU[1] (PAGE 224).

Quand il passe à Nikolaïevsk, le saumon est magnifique, gras, argenté. Plus il remonte, plus il est maigre et de vilain aspect. À Blagovechtchensk, c’est-à-dire à près de 2 500 kilomètres de la mer, il est tout tacheté de vert, de gris, de noir, de brun, il lui est poussé des dents énormes, sa maigreur est extrême, et sa chair a perdu toute sa saveur.

On le trouve dans tous les affluents de l’Amour sur la rive droite, mais jamais il ne pénètre dans les affluents de la rive gauche. De même que jamais on ne le voit dans le grand fleuve au-dessus de l’embouchure de la rivière Kara qui arrose la Mandchourie. Il pénètre dans cette rivière et remonte jusqu’à sa source, où il devient la proie des tribus manegris qui l’attendent, et des bêtes sauvages qui le trouvent à sec sur les rives, car à cette époque les eaux baissent de plusieurs centimètres par jour.

Aucun saumon ne redescend l’Amour, et M. Ninaud donne comme preuve de ce fait qu’une fois le passage terminé complètement, jamais de mémoire d’homme un seul de ces poissons n’a été pris dans le grand fleuve, où cependant la pêche est très active, même pendant l’hiver.

Une des particularités, non seulement de Nikolaïevsk, mais de l’Amour jusqu’à une très grande distance de son embouchure, c’est que tous les matins invariablement, à 10 heures, un très fort vent d’est se met à souffler. Le soir, à 7 heures, il tombe, et les nuits sont calmes. À mesure que l’on s’éloigne de la mer, ce vent

  1. Reproduction d’une ancienne gravure.