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longtemps à cette litanie d’un nouveau genre. On boit :

Un premier verre parce qu’il n’y a qu’un Dieu ;

Un second parce qu’on a deux jambes ;

Un troisième en l’honneur de la Trinité ;

Un quatrième pour les quatre points cardinaux ;

Un cinquième pour les cinq doigts de la main, et ainsi de suite.

Cela mène souvent très loin.

Sseu-Thia-Ts’oune, en sa qualité d’ancien port militaire, possède un temple du dieu de la guerre. Les idoles qu’il contient sont, comme dans tous les villages peu riches ; en torchis recouvert d’une couche de peinture. La piété des fidèles ne va pas jusqu’à réparer les ruines dû temps. Ce pauvre Mars et ses serviteurs commencent à s’écailler.

Les villages chinois sur l’Amour n’ont pas l’air de propreté et de prospérité des villages russes. Ils sont aussi moins gais d’aspect. Plus de vêtements aux couleurs voyantes : le rouge, le vert, le blanc ont fait place au bleu sombre, au gris foncé. Les habits sont souvent rapiécés avec des morceaux disparates.

Et cependant il faut bien constater ici un fait tout à l’avantage de la race jaune. Près dû village, qui maintenant pourrait s’appeler le « village des vingt familles », je vois des cultures, autour de chaque maison un jardinet avec des légumes, et dans les prairies des troupeaux de bœufs et de chevaux. Il faut que les Chinois soient bien favorisés du ciel pour que la terre soit fertile et que l’herbe soit nutritive exclusivement sur la rive droite de l’Amour ! Ne serait-ce pas plutôt qu’ils sont travailleurs et industrieux, lorsque leurs voisins ne je sont pas ?

Dans une petite anse, un carrelet est monté. Notre arrivée a arrêté la pêche. Ce que je vais dire paraîtra extraordinaire et c’est pourtant l’exacte vérité. Nous sommes à plus de 1 700 kilomètres de l’embouchure de l’Amour et ce carrelet est le premier filet que nous voyions. Le Cosaque ne pêche que quand il y a tellement de poisson qu’il n’y a qu’à se baisser pour en prendre. Nous verrons maintenant des filets de pêche, des cultures et des bestiaux dans tous les villages chinois.

Depuis que nous avons quitté Habarovka, nous rencontrons tous les jours de grands bateaux à voiles chinois. Ils peuvent porter de vingt à trente tonnes et sont montés par une vingtaine d’individus. Ils font le trafic entre Habarovka, le Soungari et Aïgoune, où nous arriverons dans quelques heures.

GOLDES DU BAS AMOUR[1] (PAGE 242).

Ils descendent l’Amour avec une grande rapidité, cela se conçoit. Mais comment font-ils pour remonter le défilé des monts Kingane où le fleuve, resserré, coule avec une rapidité si effrayante ? Je m’imagine qu’il y a des jours où ils n’avancent pas d’un kilomètre. I] n’y a pas de chemin de halage, et s’ils font par an un voyage aller et retour d’Aïgoune où nous arrivons, à Habarovka, je considère cela comme très beau.

Aïgoune a été fondé sous la dynastie des Yuane ; c’est-à-dire vers le xie ou xiie siècle de notre ère. C’était primitivement un poste militaire, comme ceux que nous avons rencontrés déjà et sans plus d’importance, Seulement, il se trouvait alors à 4 ou 5 verstes plus haut, sur la rive gauche du fleuve.

  1. Dessin de Riou, gravé par Bazin, d’après une photographie de M. Ninaud.