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Page:Le Tour du monde - 67.djvu/256

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plus de 300 verstes, pour revenir ensuite au sud-ouest se jeter dans le grand fleuve, à quelque 2 000 mètres de l’extrémité est de Blagovechtchensk. On trouve sur son cours moyen de nombreuses yourtes de Manégris, branche de la grande tribu des Toungouses.

La Zéa, comme la Boureya, roule des paillettes d’or. Elle traverse des pays où le précieux métal est en abondance. Des usines importantes ont été établies à grands frais dans plusieurs endroits et sont très productives. Des bateaux à vapeur remontent le cours de la Zéa, une ou deux fois par semaine, suivant les besoins.

À son confluent avec l’Amour, la Zéa forme de nombreux bancs de sable qui changent, dit-on, de place, et nécessitent à bord la présence d’un pilote spécial. Nous marchons avec lenteur dans cette eau limoneuse qui rappelle celle du Yang-Tsé, changeant à chaque instant de direction, et guidés par des constructions triangulaires élevées de tous Les côtés sur le rivage. Il paraît que sous son précédent capitaine, le Mouravieff Amourski s’était mis, ici, sur un banc de sable et y était resté six à sept semaines. Nous franchissons heureusement ce passage dangereux et nous nous retrouvons dans les eaux noires de l’Amour, qui est beaucoup moins large que son affluent.

À l’angle des deux rivières s’élève une construction assez importante ; c’est, me dit-on, un moulin à vapeur. Il est situé à l’extrémité est de la grande rue de la ville de Blagovechtchensk, rue toute droite, très large, parallèle au fleuve, longue de plus de 2 kilomètres, mais qui pendant 1 200 mètres au moins n’existe qu’à l’état de projet.

Après le moulin solitaire, au milieu d’une plaine où elle fait l’effet de la grande pyramide dans le désert, se dresse… la cathédrale ! dont la construction n’est pas terminée. À côté une énorme caserne blanche, sans goût, ou une prison : on me dit que c’est le séminaire. Puis plus rien, pas une maison dans un rayon de 500 mètres.

On m’explique qu’il y a là une petite spéculation fondée sur les sentiments religieux bien connus des Russes. Les terrains n’ont aucune valeur pour le moment dans ces parages, mais Les fidèles ne peuvent manquer de venir se placer autour de la cathédrale et d’en faire ainsi monter les prix !

Le fleuve est bordé par des maisons, devant lesquelles est cependant une chaussée qui suit et les sinuosités de l’eau et tous les accidents du terrain. Le ponton auquel nous devons nous amarrer et ses abords sont noirs de monde, ainsi que le vapeur Yermak, qui doit nous conduire à Stretinsk, et qui est mouillé à peu de distance. Le quai est ici orné d’une balustrade derrière laquelle se presse la foule.

À Blagovechtchensk comme partout sur l’Amour, l’arrivée et le départ d’un vapeur sont des événements.

Il est 7 heures du soir : à demain les affaires sérieuses ; à demain ma visite au gouverneur. Car ce n’est pas une petite affaire qu’une visite à un gouverneur en Sibérie ! À n’importe quelle heure même du jour, il faut se mettre en costume de marié, habit noir, cravate blanche, chapeau haut de forme, si, et malheureusement c’est le cas pour moi, on n’est pas l’heureux possesseur d’un uniforme quelconque. J’ai du reste été stylé à ce sujet, et sur la recommandation de mes amis russes de Pékin, j’ai fait venir de Paris un claque, plus portatif en voyage, bien que moins conforme à l’étiquette.


XIV

Blagovechtchensk.


À peine sommes-nous amarrés que le Mouravieff est envahi et que les embrassades commencent.

Un officier cependant fend la foule, adresse une question à notre second, qui me désigne du doigt, s’avance vers moi, me salue et dit : « Je suis le chef de la police, envoyé par le gouverneur. J’ai préparé un logement pour vous, il y a une voiture sur le quai ! Vous pouvez me suivre ! »

Ces paroles, prononcées en Sibérie, ont de quoi faire frémir. Mais notre conscience est tranquille. Nous nous imaginons qu’on nous à retenu une chambre à l’hôtel et que de là nous pourrons envoyer chercher nos bagages, Nous nous apprêtons à suivre le chef de la police lorsqu’un autre monsieur se présente. C’est un Français celui-là, M. Ninaud, dont je connaissais l’existence et que je me proposais d’aller voir demain. Il se met très obligeamment à notre disposition et me dit qu’il va venir immédiatement nous retrouver dans le logement que l’on nous a préparé. Le chef de la police pendant ce temps s’était discrètement éloigné. Quand il nous voit nous avancer, il se précipite pour offrir son bras à Mme Vapereau, nous conduit à une superbe calèche dont un majestueux cocher maintient les chevaux, et lui-même prend place dans un drojki de louage. Nous partons, laissant Hane à bord, mais nous commençons à nous trouver gênés de notre costume de voyage. Et ce fut bien pis lorsque, après avoir contourné deux ou trois pâtés de maisons, nous voyons notre attelage se diriger vers une belle construction en briques, ornée d’un double perron en fer à cheval, devant lequel deux soldats montent la garde : c’est évidemment le palais du gouverneur. On nous conduit à un élégant pavillon où tout est préparé pour nous recevoir. Nous coucherons donc dans un lit ce soir !

Quelques minutes après on nous annonce que Son Excellence le Gouverneur et Mme Popoff nous attendent pour prendre le thé. Il n’y a qu’à nous exécuter et à nous présenter, tels que nous sommes, en nous excusant.

Il est difficile de se figurer des gens plus simples, plus aimables, plus gracieux que nos hôtes. Nous les trouvons entourés de leur nombreuse famille et de quelques amis, et nous avons bientôt fait connaissance, le verre… d’excellent thé à la main. Une Française,