Page:Le Tour du monde - 67.djvu/284

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continue de tracer mes parallèles. Bientôt Ponsard s’impatiente et nous dit, avec son accent paysan inénarrable : « Ah ! j’voudrais ben y vouair (voir), moi ; j’voudrais ben y vouair aussi ». Et, sur ce, sans plus me demander la permission, voilà mon Ponsard parti de l’autre côté du lac pour explorer un trou quelconque qu’il vient d’apercevoir. Je lui crie de revenir, qu’il ne sait pas nager, et qu’il risque de se noyer. Peine perdue, mon homme saute de roche en roche et… brusquement il glisse et tombe dans le lac, avec un fracas épouvantable. Dire l’angoisse qui nous étreint, Barreau et moi, n’y voyant presque pas avec nos bougies, est impossible. Nous n’avions, bien à tort, rien avec nous, ni corde, ni échelles, et l’eau était profonde. Soudain un rire éclate, et aussitôt : « C’est rien, c’est mon pied qu’a manqué ». En attendant, mon Ponsard a bien failli y rester, et ce n’est que grâce à une roche qui s’est trouvée sous sa main qu’il a pu en sortir. Ceci me rappelle un épisode de notre exploration de la source des Douzes (gorges de la Jonte, dans la Lozère, près de la grotte de Dargilan) l’été de 1890. La source des Douzes est la réapparition (cela est démontré aujourd’hui) de la Joute engloutie par plusieurs crevasses situées dans son lit, un certain nombre de kilomètres en amont.

Dans le feu de l’exploration, nous avions eu besoin d’une pioche pour déblayer un certain passage qui devait, selon nous, nous conduire à des merveilles. Or cette pioche aval été oubliée à l’extérieur. Je laisse donc mes compagnons fureter dans les différentes avenues qui nous entourent, pour aller la chercher. Franchissant un long dédale de couloirs, j’arrive au sommet de l’échelle démontable qui nous avait permis d’escalader une muraille haute de 6 mètres au pied de laquelle s’étend un lac très profond et assez considérable.

Le bateau de toile est vite démarré du pied de l’échelle, et me voilà naviguant tranquillement vers l’autre bord. Tout va bien jusqu’au moment de débarquer. À cet instant le bateau échoue sur un rocher et refuse d’accoster. Je me lève à une extrémité de la barque, pour la dégager, mais mal m’en prend, car, ayant négligé de fixer le plancher au fond du bateau, celui-ci se soulève par le milieu, l’avant où je me trouve s’enfonce sous mon poids, l’eau s’engouffre par-dessus bord, et en une seconde je suis précipité dans le lac avec mon unique lumière, Quoique bon nageur, la situation, dans cette profonde obscurité, dans cette eau glaciale, loin de tout secours, était fort peu agréable. J’ai passé là un vilain moment. Mais, par un grand hasard, je réussis presque aussitôt à saisir d’une main une roche pointue qui s’avançait dans le lac. Me hissant rapidement hors de l’eau et gagnant à tâtons le couloir d’entrée, je trouvai bientôt le jour et m’en fus chercher de la lumière à l’extérieur. Je sortis de la grotte comme un fou, paraît-il, car un jeune berger qui gardait ses moutons près de la grotte, et qui ne nous avait pas vus entrer, se sauva à toutes jambes.

Il me prit sans doute pour le diable ; une légende veut, en effet, que celui-ci ait été vu un jour regagnant l’enfer par cette porte. (Dans les Causses, toutes les ouvertures de ce genre conduisent en enfer.) Me munissant d’une longue gaule et d’une lumière, je rentrai sous terre à la recherche du bateau. Revenu au bord du lac, je m’entendis héler par des voix lointaines. C’étaient mes amis, qui, inquiets de ma longue absence, arrivaient à ma recherche. Éclairé ainsi des deux côtés, le lac nous permit de voir le bateau loin des rivages. L’un de mes amis se mit aussitôt à l’eau, et me ramena l’esquif volage. Lorsque nous fûmes de nouveau tous réunis, j’appris que, pendant mon naufrage, Pavie s’était aventuré trop loin à plat ventre dans un étroit passage, que la terre meuble l’entourant s’était effondrée sur lui et que l’on avait eu toutes les peines du monde à le dégager du trou. « Il me sembla, dit-il, que la montagne s’écroulait lentement sur moi. Pris de tous côtés par des bouts de stalactites qui s’accrochaient à mes vêtements, ne pouvant ni avancer ni reculer, la respiration commençait à me manquer, et si l’on ne m’eût arraché par les pieds de cette lugubre position, je crois que j’y serais resté. »

Ces diverses émotions ne ralentirent guère notre ardeur, et nous continuâmes notre exploration si malencontreusement interrompue. Comme les Douzes ne renfermaient rien de particulier, nous fûmes bientôt sortis et assis autour du repas du jour, discutant joyeusement, à l’ombre des noyers, les péripéties du voyage. Si l’exploration souterraine a ses peines et ses dangers, elle a aussi ses heures de charme et de poésie.

Mais, après cette longue digression, revenons à notre ami Ponsard.

Cet homme a la bravoure poussée jusqu’à la témérité que donne l’ignorance du danger. Il pousse son excursion jusqu’au bout, constate qu’un cul-de-sac remplace la merveille qu’il était sûr de trouver, et nous revient trempé jusqu’aux os. Pendant tout ce temps, Pavie nous appelait d’une voix lointaine et peu rassurée. Nous avançons, et le rejoignons à l’extrémité de la salle. Grimpé dans un étroit boyau où il n’avait rien trouvé, et ne pouvant s’éclairer par derrière pour redescendre, il ne savait où poser ses pieds. « J’ai eu un moment d’inquiétude », nous déclara-t-il.

À l’extrémité de la « salle du Lac », la galerie tourne encore une fois, brusquement, à gauche, et forme une belle avenue large de 6 à 8 mètres, haute de 30, où l’adjudicataire a posé une passerelle ; autrement on enfoncerait dans l’argile jusqu’aux genoux. La galerie continue vers le nord-ouest, en se repliant une multitude de fois sur elle-même, et en se rétrécissant parfois jusqu’à n’avoir plus que 50 centimètres de large, formant ainsi de nombreux passages désagréables aux personnes douées de quelque embonpoint. Des échelles permettent d’escalader Les endroits difficiles. Les stalactites font leur apparition. L’une d’elles prend la forme d’un superbe parasol admirablement découpé et ciselé. Incontinent nous donnons à la