égale distance des deux rives et qui est maintenue au-dessus de l’eau par un nombre variable d’embarcations. Ici il y en a quinze. Le bac, détaché de l’embarcadère, est entraîné, la chaîne se tend lorsqu’on est au milieu du fleuve, le courant, agissant sur le gouvernail, fait décrire à l’appareil un are de cercle et l’on arrive mathématiquement au débarcadère.
Dans la cour de la station de poste se trouve un hôtel : nous nous y installons faute de mieux.
Krasnoïarsk date de 1626 et compte 18 000 habitants ; son altitude est de 152 mètres. En partie détruite par le feu en 1881, beaucoup de ses édifices ont été reconstruits en pierre. Les rues sont larges. Sa cathédrale, assez élégante, élevée par les soins et aux frais d’un riche colon, est l’œuvre d’un architecte français.
31 juillet. — On me dit que nous avons ici un compatriote, M. Regamey, professeur au gymnase. Je m’empresse d’aller le voir, malgré l’heure matinale. Je le trouve en train de faire des paquets : il vient d’être nommé à Vilna et doit partir mardi avec sa femme, Il nous propose de les attendre, et nous offre l’hospitalité. Sa maison est très propre, très bien tenue, j’accepte.
M. Regamey est Suisse de naissance, sa femme est Russe ; elle ne parle pas le français, mais elle le comprend. Avec notre léger bagage de russe, la conversation peut encore se soutenir. Ils ont deux domestiques, qui sont, comme partout en Sibérie, deux condamnés à la déportation : l’un pour vingt ans, le cocher, valet de chambre, qui répond au nom de Cidor, compromis dans une affaire de viol ; l’autre à perpétuité, la cuisinière, pour infanticide. Ce qui me surprend, ce n’est pas qu’elle ait tué son enfant, mais c’est qu’elle ait eu l’occasion de commettre un semblable crime : elle est laide à faire peur. Il paraît que Mme Regamey n’a jamais eu de servante plus dévouée, plus attentive et soignant mieux les enfants. Nous en avons tellement vu de ces déportés que cela ne nous semble plus étrange. On en trouve même, paraît-il, beaucoup dans la société qui ne font nullement mystère des causes qui les ont amenés dans le pays. On dirait qu’ils s’imaginent qu’ayant passé les monts Oural, ils ont payé leur dette à la société. N’est-ce pas plutôt qu’ils savent que la plus grande partie de ceux qui les entourent sont dans la même situation qu’eux ? Krasnoïarsk possède un avocat qui ne cache pas qu’il est ici pour avoir fait un faux testament, et qui ajoute que son châtiment mérité prouve que la justice est bien faite en Russie.
Je vais chez le gouverneur, le général Teliakovski. Il me reçoit très bien, me donne une nouvelle liste blanche et un ordre de réquisition pour les chevaux
- ↑ Gravure de Berg, d’après une photographie russe.