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V

Le billet serré dans son corsage, son porte-monnaie vide à la main, Madeleine se retrouve sur le trottoir où la pluie crépite…

Il est tout à fait nuit, maintenant ; de grandes flaques d’eau miroitent sur la chaussée, reflétant les réverbères, et Madeleine sent que ses souliers percés s’amolissent, spongieux et trempés d’eau…

Elle se penche ; elle regarde ses informes chaussures.

Comme elles vont rire à l’atelier : — « Hé ? dis donc, Clara, l’amoureux de Madeleine lui a-t-y payé de beaux souliers ! »

— Bah ! ils dureront bien encore un mois ! se dit-elle.

Et bravement elle veut rire de sa détresse. Elle s’est offert le luxe d’un autographe… pour commencer une collection, dirait le Toulousain. Mais un flot de mélancolie monte, noyant tout, débordant son cœur, et serrée dans son fichu, perdue dans le noir des rues gluantes, elle va, songeant aux taillis de Sèvres où pleuvent, dans l’ombre des feuilles, des gouttelettes de soleil.

Gilbert Doré
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LES DANGERS DE L’ACACIA

COMME FOURRAGE


Il y a cinq ou six ans, le 26e dragons, alors en garnison à Dijon, perdit des chevaux dans des conditions assez extraordinaires. L’escadron auquel ils appartenaient, le 3e, si j’ai bonne mémoire, venait de consacrer quelques jours à faire des manœuvres aux environs de Dijon. Après une nuit passée en cantonnement dans un village, on était parti de bon matin, tous les chevaux ayant l’air de se bien porter : tout à coup, l’un d’eux était tombé mort sur la route, puis un second, puis un troisième, finalement il en est mort six.

Naturellement, le colonel avait prescrit une enquête. Cette enquête n’avait pas amené de bien bons résultats. Les vétérinaires parlaient d’un empoisonnement occasionné par des avoines de mauvaise qualité ; mais ils ne se prononçaient pas d’une manière bien formelle.

Je lus ce fait-divers dans les Journaux de la localité. L’explication donnée par les vétérinaires du régiment ne me semblait pas admissible. C’est le même fournisseur qui, d’ordinaire, fournit l’avoine de tous les chevaux d’un escadron. Comment admettre que cette avoine eût été d’assez mauvaise qualité pour empoisonner six des chevaux d’un escadron, sans rendre les autres malades ? En revanche, tous les symptômes dont on parlait me rappelaient singulièrement un autre empoisonnement dont j’avais été pour ainsi dire témoin quelques années auparavant. Le cocher de mon père, venant de la campagne à Paris, avec quatre chevaux, s’était arrêté dans une auberge de village pour passer la nuit. Deux de ses chevaux étaient séparés par un bat-flanc formé d’une perche d’acacia encore recouverte de son écorce. Pendant la nuit, ces deux chevaux avaient rongé l’écorce. Le lendemain matin, ils étaient morts après avoir rendu par la bouche énorme quantité de bave. Or, on signalait précisément que les chevaux du 26e dragons avaient aussi rendu de la bave en grande quantité.

Frappé de cette coïncidence, je me permis d’écrire au colonel pour la lui signaler quelques jours après, il me répondit qu’au reçu de ma lettre il avait prescrit une nouvelle enquête et que cette enquête justifiait complètement mes soupçons. Les chevaux de l’escadron avaient passé la nuit attachés sur la place du village. Or, sur cette place, il y avait quelques acacias. Les chevaux qui avaient été à portée de ces arbres en avaient rongé les écorces et étaient tous morts. Du reste, le général commandant le corps d’armée, mis au courant de l’affaire, avait fait envoyer au laboratoire de l’école de pharmacie un fagot de branches d’acacia, et on en avait extrait un poison très violent, ayant un nom latin superbe, mais dont je ne me souviens pas, bien que le rapport m’ait été envoyé en même temps qu’une lettre officielle du colonel, m’adressant ses remerciements.

Je me permets de raconter cette histoire parce qu’elle prouve que nous avons vraiment des ministres bien extraordinaires. L’acacia est un poison violent pour les chevaux. Cela est bien établi par un rapport officiel adressé à un général commandant un corps d’armée, et transmis certainement par lui au ministre de la guerre. Or, dans ce moment-ci, on vient d’afficher dans toutes les communes de France une circulaire où le ministre de l’agriculture recommande aux cultivateurs de donner à leurs animaux, pour remplacer le foin qui manque, des ramilles d’arbres : et parmi les arbres recommandés, figure l’acacia ! Il est même l’objet d’une sanction toute spéciale. Chaque essence a un coefficient représentant la valeur de ses ramilles au point de vue alimentaire. L’acacia a l’un des coefficients les plus élevés.

Je connais déjà un infortuné fermier auquel cette circulaire vient de coûter trois vaches. C’est un belge qui habite tout près de la frontière, dans la Flandre Orientale. En passant dans un village français, il a lu l’affiche en question, signée par un ministre — dans son pays les ministres sont des gens sérieux —, il a eu confiance ; et ses trois vaches sont mortes. Il est peu probable que cela arrive à un Français, parce que d’ordinaire, chez nous, on ne croit guère à ce que disent les ministres. Cependant, comme il peut se trouver quelques naïfs il est bon de les mettre en garde contre les conseils de M. le ministre de l’agriculture.

Baron E. de Mandat-Grangey.
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L’ESPRIT DES AUTRES


Examen dans un lycée de jeunes filles.

— Mademoiselle, pourriez-vous me dire ce que dans l’ancienne Rome, on entendait par le prétoire ?

La candidate, souriant d’un air dégagé :

— Oh ! monsieur, c’est bien simple, et son nom l’indique surabondamment. C’était le Mont-de-piété des Romains.

On sait que les bureaucrates usent considérablement le… fond de leurs pantalons :

— C’est singulier, disait l’autre jour un vieil expéditionnaire, nous prenons de la peine, et c’est le fond qui manque le plus !

M. de Oalinaux visite un paquebot de la force de 1,200 chevaux. Il examine tout avec curiosité et paraît enchanté de sa visite. Toutefois, en sortant :

— Tout cela est fort beau, dit-il, mais nous n’avons pas visité les écuries.

— Il n’y en a pas, Monsieur.

— Comment ! il n’y en a pas ? Mais où donc logiez-vous les 1,200 chevaux dont vous me parliez tout à l’heure ?