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PRÉFACE. xxix

langue, dominait moins la littérature ; et d'autres idées entraient dans les esprits. Mais l'innovation était à peine sensible dans le langage. Un pénétrant et judicieux écrivain, l'abbé Dubos, qui déjà s'était occupé de recherches politiques et de théories étrangères au siècle précédent, écrivait en 1720 : “ Notre langue me paraît parvenue, depuis soixante et dix ans, à son point de perfection. ” Et il en concluait que les écrivains dont la gloire s'était maintenue, à cette époque de consistance et de durée pour la langue, seraient immortels sans vieillir.

Alors même, Voltaire et Montesquieu s'élevaient pour vérifier cette prédiction, et s'y trouver compris : Voltaire qui a tout renouvelé, excepté la langue, dont il fut un admirable et presque timide gardien ; Montesquieu qui, sachant si bien les vives allures de cette langue et les mouvements inaccoutumés que lui avait appris son compatriote Montaigne, l'appliquait, avec tant de force et de précision, à des sujets nouveaux.

La longue vie de Voltaire et la continuelle activité de son génie, est un des événements de l'histoire de notre langue. Il en retardait la décadence par les qualités mêmes de son style. Il ajoute, pour ainsi dire, à la nature de cette langue celle de son esprit, si net, si juste, si facile, si rapide, si brillant de clarté. D'autres écrivains ont été plus éloquents ; aucun plus français et plus cosmopolite à la fois. Aucun n'a servi davantage à la popularité de notre langue, et à cette convention tacite qui fait que, presque partout, deux hommes d'esprit, de nation diverse, qui se rencontrent, s'accordent à parler français. Cette influence de soixante années de verve et de gloire, cette parole toujours naturelle et vive, quoi qu'elle dît, ce goût moqueur, toujours armé contre l'affectation et l'enflure, n'empêchèrent pas cependant le cours inévitable des choses. Si la langue s'enrichit encore de combinaisons et de formes heureuses, si la prose surtout se dégagea parfois de quelques lenteurs, si l'étude plus générale des sciences introduisit dans l'usage plusieurs termes nouveaux et nécessaires, le naturel et la pureté du style s'affaiblirent. Voltaire lui-même, s'il ménageait avec un goût exquis le caractère de notre idiome, et ne le surchargeait d'aucun faux ornement, en émonda parfois le jet vigoureux, et n'en retint pas toutes les richesses. Sa langue, si correcte et si facile, a moins de nerf et de physionomie que celle du siècle précédent.

De plus, malgré son exemple, les défauts attachés au second âge d'une littérature se produisaient de toutes parts, à travers l'éclat du génie et l'infinie variété des talents. Voltaire lui-même portait quelques-uns de ces défauts dans les genres les plus élevés de la poésie. D'autres altérations du goût venaient du vice même de la société et de la mollesse des moeurs. La diction se gâtait avant la langue. La recherche, la subtilité, les raffinements de l'élégance se multipliaient. La poésie surtout, cette source vive où s'entretient le langage, semblait s'épuiser ; et l'éloquence, soutenue si haut de Bossuet à Massillon, ne se faisait plus entendre dans la chaire chrétienne, et n'était pas remplacée par une autre parole.