Page:Le journal de la jeunesse Volume I, 1873.djvu/115

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scriptions en l’honneur de la souveraine. De proche en proche, des lanternes multicolores, suspendues aux maisons, éclairaient la voie, qui d’ailleurs avait été sablée- pour que le tumulte des pas, le ’piaffement des chevaux n’éveillassent pas le moindre bruit aux oreilles de la jeune élue. En somme, bien que le mouvement du cortège ait duré depuis quatre heures jusqu’à minuit, à travers la cité la plus populeuse du monde, il faut croire que* bien peu d’yeux chi 1 , nois en ont pu contempler la magnificence. -Quant à l’épousée, comme elle a accompli le trajet au fond d’un palanquin hermétiquement fermé ; où elle était montée dans l’intérieur de son palais, .pour n’en sortir qu’au seuil de la salle impériale, nul* n’a pu même espérer voir ses traits. j , On avait officiellement prévenu les étrangers qu’ils eussent à ne pas se trouver sur le passage du cortège ; mais plusieurs ont pu, en soulevant ou en crevant les 1 tentures jalouses, s ’ mi assurer le coup d’œil, ^jui, disent-ils, était vraiment féerique. Toutes ces bannières, tous ces costumes de soie et d’or, toutes eés lumières, toutes ces armes composaient le plus pittoresque ensemble...

Notez que S. M. Toung-chi a vu sa femme, pour la première fois, lorsque le palanquin qui ^l’apportait s’est ouvert dans la Céleste Résidence,* où ont immédiatement commencé les longues et multiples cérémonies du mariage’ chinois. Le choix lui a-t-il paru convenable ? Il faut 1 le croire, car on y avait certes apporté ‘le soin et la réflexion nécessaires.* Bref, tout le Céleste-Empirc a été mis en émoi pour le voyage nocturne, à travers la capitale, d’une jeûne* fille dont nul n’a vu ce soir-là ni le .visage, ni même l’escorte ;- mais, à vrai dire, depuis quelques semaines la curiosité générale avait été dédommagée par les interminables processions qui portaient très-ostensiblement les* pièces du trousshau fourni par, l’époux, les innombrables et opulents cadeaux envoyés à lajfiancée de tous les’ points de l’Empire : meubles, vêtements, «étoffes, bijoux, vases précieux, ’ etc. *’ ; , - ’ .

Mais voici que chez les Chinois,’ comme chez d’autres peuples, il y a des gens qui aiment à se divertir" aux dépens de la badauderie de leurs concitoyens. Ceux-là donc avaient semé le bruit* qu’un concours public allait être ouvert pour la désignation des porteurs, dont les épaules auraient l’honneur de sc courber sous les barres du palanquin impérial. L’épreuve devait consister à transporter, sur- un brancard, des urnes pleines d’eau, sans qu’il s’en répandît la moindre goutte, — ce qui serait le gage de la délicate et moelleuse allure exigée pour le transport de la céleste fiancée.

Et pendant deux ou trois semaines, des milliers de naïfs accouraient, dès le point du jour, aux lieux que les mystificateurs avaient le soin d’assigner la veille comme théâtre du prétendu concours. Et nos plaisants de rire.

Je sais des gens qui veulent prétendre qu’à*Paris » * i-

cette spirituelle invention n’aurait pas eu moins de succès. — Faut-il être de leur avis ?


L’oncle Anselme.


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LE PARAPLUIE OMNIBUS


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Ces cinq enfants, je les avais som eut rencontrés sur le chemin de l’école, mais jamais réunis. Chacun suivait sa fantaisie. Le plus petit’ garçon) un vrai flâneur, s’arrêtait à toutes les devantures de boutiques, regardait les chiens maigres qui, le matin, sont si affairés autour des tas d’ordures, et contemplait avec intérêt le tombereau du boueur ou la charrette du laitier.

L’autre garçon (ce. devait être un moniteur) reli ; sait scs leçons tout le long du chemin, trébuchait a chaque rebord de trottoir et ne s’arrêtait nulle part.

La plus grande des fillettes, une blondine au nez retroussé, prenait’ des airs de gravité, précoce avec sa petite sœur, qu’elle tenait par la main.

Cette dernière avait une tendance déplorable à se laisser traîner en regardant derrière elle, « ce qui n’était pas convenable, » au dire de la grande sœur ; ou bien,’ elle plongeait des regards de convoitise au fond de son panier, et manifestait l’intention de voir tout de suite quel goût pouvait avoir cette tartiné, de graisse d’oie.

Une troisième petite fille, avec un monstrueux panier, rasait les maisons, et exécutait avec sa règle des gammes chromatiques sur les barreaux des grilles et sur les lames des persiennes.

Lorsque commença cette série de jours pluvieux que nous venons de traverser, la grande, sœur et la petite se prélassaient sous un ample parapluie patriarcal, d’une solidité à toute épreuve, et d’un rouge violent, pâli seulement par places dans le sens des plis.

Elles passaient un matin, dans une rue, noire, et triste, devant une maison triste et noire. La pluie redoublait de rage. L'écolier flâneur, à abri/sous la porte cochcre, en proie à une indécision comique, regardait tantôt le ciel, qui , se fondait tout en eau, tantôt le ruisseau bourbeux, qui roulait des. épaves sans nom, tantôt les passants qui pataugeaient dans la boue.


« Ohé ! du parapluie ! » cria-t-il, comme un naufragé qui aperçoit une voile.

Le parapluie s’arrêta surpris, et les deux sœurs regardèrent le naufragé.

« Une petite place, hé ?

— Pourquoi pas ? » répondit, la grande sœur. Mais la petite lui pinçait le bras, et lui donnait à entendre