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tôt la jeunesse aux belles manières et au beau langage, et que l'éducation se doit faire au moins autant dans le monde qu'à la salle d'étude. Ils n'ont rien de sévère, rien de rébarbatif. Ce sont les camarades de leurs élèves plutôt que leurs maîtres. Au lieu d'être confits dans le grec et le latin, et de porter de ces habits ridicules de pédants, ils sont du monde, eux aussi, et excellent à organiser une charade ou une sauterie.

Par exemple, le précepteur de Michel de Trétan était ce qu'on peut appeler un parlait gentleman. Ayant vu de bonne heure quel médiocre avenir ouvrent les sévères épreuves de la licence et de l'agrégation, il s'était bien promis de ne pas les subir, et se jeta dans le préceptorat par esprit d'aventure d'abord, et ensuite par paresse. Il avait connu le monde et au moment où M. de Trétan cherchait un précepteur pour son fils, il débarquait de Russie. Il avait de belles fourrures, des cravates « idéales », des bijoux éblouissants, et un bavardage de bon ton qui séduisirent tout d'abord M. de Trétan. Et puis, il savait le russe! Quelle nouveauté à Châtillon Michel, que l'on destinait à la diplomatie, apprendrait le russe en se jouant. Les renseignements sur le compte du postulant étaient favorables on lui confia Michel.

Ce dernier ne mit pas longtemps à s'apercevoir que son mentor était un paresseux, et qu'il préférait la salle de billard à la salle d'étude. Il ne dit mot de sa découverte, mais il l'exploita sans scrupule. Il n'apprenait rien du tout, ce qui n'empêchait pas le précepteur de trouver qu'il faisait des progrès étonnants. Tout allait donc à merveille. Quelque fantaisie mondaine qui germât dans la tête de Mme de Trétan, il se trouvait toujours, au dire du précepteur, que les choses ne se passaient pas autrement dans la haute société de Moscou. Les amis de Michel, Ardant et Bailleul, marchaient dans la même voie, sous la conduite' de deux précepteurs modèles, dont le seul défaut (finit de n'avoir pas fréquenté la haute société russe.

A suivre.

J. Girardin

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DANS L'EXTRÊME FAR WEST

AVENTURES


CHAPITRE VIII

LES VOLEURS DE BESTIAUX

Nous parlions à peine, tant notre rage était grande, car dans le Far West, après l’assassin, il n’est pas de plus grand ennemi de l’homme que le voleur de bestiaux. Les deux professions, du reste, sont en général assez intimement associées.

Il nous était impossible, dans un rayon assez étendu autour de notre camp, de reconnaître par les traces ordinaires la route qu’avaient suivie les fugitifs. En effet, pendant la nuit tous les bestiaux avaient erré au loin en quête d’eau potable, et c’était dans toutes les directions et dans tous les sens que se voyaient les traces de leurs pas. Il fallait donc arriver à l’extrême limite des excursions de nos bêtes pour trouver des indices qui pussent nous mettre sur la piste de nos voleurs.

Nous avions déjà fait sans rien trouver deux ou trois milles le long du lit desséché du lac et de la petite rivière qui s’en échappe. Pete commençait à soupçonner Juan de s’entendre avec nos ennemis, lorsque nous arrivâmes sur le bord d’un ruisseau qui se jetait dans le lit de la rivière dont nous suivions le cours, et le remplissait d’un ou deux pieds d’eau. Un peu plus loin le ruisseau se divisait en deux branches; nous résolûmes de suivre la plus large.

Juan dit qu’il suivrait l’autre pendant quelque temps et puis nous rejoindrait; ce que voyant, je me décidai à l’accompagner.

Nous piétinâmes dans l’eau pendant quelques minutes; le fond était doux, sablonneux, et la profondeur diminuait à mesure que nous avancions. Il était évident que l’eau du ruisseau se perdait dans ce sol léger et spongieux.

Soudain, à l’endroit même où l’eau cessait et où le terrain redevenait sec, j’entendis Juan s’écrier: «Ah! lui, rusé coquin! passé dans l’eau pour cacher ses pieds.»

Nous courûmes au grand galop rejoindre Pete et l’Irlandais, que nous trouvâmes désolés de n’avoir rien découvert.

Pete, électrisé par les nouvelles que nous lui apportions, partit à fond de train. Nous avions peine à le suivre. Une fois sur la vraie piste, nous nous savions sûrs de notre proie, car on ne peut faire marcher des bestiaux aussi vite que nous les poursuivions. Pete demanda à Juan qui il croyait pouvoir être le chef de nos voleurs.