Page:Le journal de la jeunesse Volume I, 1873.djvu/140

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— C’est parfaitement cela.

— Et qui ferait de la peine à ses parents s’il voulait être soldat.

— C’est cela. Eh bien, vois-tu, mon garçon, aussi vrai que…

— Ne parlez pas, mon oncle, ne vous fatiguez pas. Je sais ce que vous voulez dire, et voici ce que je vous réponds. Ce garçon ne fera point de peine à ses parents : il ne sera pas soldat, il sera fabricant.

— Ça va bien, dit le capitaine. Nous nous comprenons à demi-mot, nous autres. Donne-moi la main, mon garçon. Hein ! comme j’ai maigri ! Maintenant il me semble que je boirais bien quelque chose. »

Dès le lendemain, Jean put retourner au collège. Le prix d’excellence était perdu ; il s’en consola beaucoup plus facilement qu’il ne l’aurait cru d’abord. Et puis, il eut une surprise très-agréable. Apprenant qu’il était retenu par la maladie de son oncle, son rival Robillard, au nom de ses camarades, avait demandé au professeur de vouloir bien remettre la composition pour que Defert pût y assister. Le règlement s’opposait à ce que l’on fît droit à cette demande. Mais le professeur en fut très-touché ; et c’est par lui que Jean, après son retour, en eut connaissance. Il voulut remercier Robillard, qui eut la délicatesse de tourner la chose en plaisanterie et ne voulut jamais entendre parler de remercîments.

Mais si Robillard pouvait empêcher Jean de le remercier, en revanche il ne pouvait pas lui interdire de l’admirer et de l’aimer. Il y avait des moments, pendant la classe, où il regardait presque malgré lui du côté de Robillard, pour revoir son bon regard et son franc et joyeux sourire. Comme les externes occupaient les premiers bancs, Jean était obligé de se retourner pour satisfaire son désir. Le professeur, habitué à le voir attentif et immobile, se demanda si par hasard l’élève Defert ne deviendrait pas un peu dissipé. Quelquefois le sourire destiné à Robillard était confisqué au passage par quelque autre collégien qui flânait, le nez en l’air, et qui ne manquait pas d’y répondre par une grimace. C’était à recommencer.

Le professeur faisait entendre un petit chut ! d’impatience ; et Jean, tout honteux de lui-même, baissait le nez sur son livre. Puis, au bout de quelques minutes, qui lui semblaient un siècle, il se sentait saisi du même désir. Il résistait d’abord avec courage, mais il était pris d’une sorte de malaise ; il éprouvait des fourmillements tout le long des jambes. Quel écolier n’a ressenti sur les bancs ce malaise nerveux, qui se traduit chez les uns par des séries de bâillements, chez les autres par un brusque changement de coude sur la table, chez d’autres par une sorte de détente des jambes, qui partent comme deux res-