Page:Le journal de la jeunesse Volume I, 1873.djvu/142

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

poignées d’hommes qui t traversaient l'Europe pour aller se mesurer avec les infdèles; au lieu de flottes, c’étaient quelques petits vaisseaux qui cinglai eut vers la Palestine... Ces, troupes intimes espéraient-elles donc réaliser la conquête qui défiait l’effort des masses profondes? Non," mais aider à raffaiblissement des ennemis de la foi. Elles allaient combattre, périr... Elles partaient: rien n’en revenait, tout avait disparu dans l’inconnu lointain... Mais la récompense r espérée ne devant pas être reçue ici-bas, peu importait le souvenir des' Hommes. Dieu connaissait, lui, ceux qui s’étaient sacrifiés pour sa cause.

Cela est si vrai, qu’une fois certaine de ces entre- prises, que je crois pouvoir appeler considérable, se ^produisit, dont la plupart des historiens ont négligé de consigner le souvenir.

J’en ai trouvé la mention dans deux vieilles chroniques latines, .presque ignorées, du xv c siècle. Vous allez voir si elle méritait d’être ainsi jetée à l’oubli. '

En l’année 1212, dans les environs de Vendôme, un jeune garçon nommé Nicolas, ayant attaché une croix à son habit, persuada aux enfants du pays qu’ils devaient se réunir pour aller délivrer, Jérusalem. Ses exhortations furent si bien écoutées, qu’en peu de jours il se vit à'ia tête d’une grande foule d’enfants que le départ fut résolu.

BeaucpÛp de parents, instruits de ce dessein, essayèrent êiFdétourner leurs enfants, et, voyant que ceux-ci persistaient, ils les enfermèrent; Mais les enfants s’échappèrent:

lls avaient entendu dire que' les croisés s’embarquaient sur la mer. Ils se firent indiquer de quel côté- était la hier,’ et se mirent en marche vers le Midi;

On prétend même qu’on leur avait persuadé que cette année-là une extrême' sécheresse mettrait à découvert le fond delarher, en sorte qu’ils n’auraient qu’à suivre* le lit mâde des eaux pour se rendre en , Palestine.

Ils 'avançaient, répandant l’enthousiasmé sur leur passage. Dans chaque ville ou village., qu’ils traversaient: « Ou allez-vous? leur demandait-on.

— A Jérusalem! répondaient-ils avec exaltation. A Jérusalem; délivrer le tombeau de Jésus-Christ! ».

Ils chantaient Seigneur Jésus! /rendez -nous votre sainte croix! » Les fidèles pensaient que Jésus-Christ, pour, fairè enfin éclater sa puissance divine, confondre l’orgueil des puissants et des grands capitaines, avâit/remis sa cause aux mains de la simple et timide enfance.

Et les familles ne réussissaient que difficilement à retenir les enfants, qui, pris de la même passion des saintes aventures, voulaient se joindre à la troupe.

De jour en jour, cette multitude devenait plus grande plus imposante. On affirme qu’arrivée en Provence, elle comptait au moins dix à douze mille enfants; une chronique dit même trente mille.

Là, paraît-il, elle se divisa. Une partie inclina vers l’Italie. Le pape Innocent III, qui alors occupait la chaire pontificale, et qui avait en vaih essayé plusieurs fois de ranimer le zèle des hommes de guerre pour les Croisades: « Voyez, s’écria-t-il, ému Jus-qu’aux larmes quand on l’instruisit de la venue de cette jeune armée, voyez, c’est l’enfance qui donne l’exemple, tandis que nous dormons...» Et l’on ajoute qu’ayant compris que ces enfants couraient à leur perte, il les engagea paternellement à retourner dans leurs familles, mais seulement pour y attendre que l’àge fût venu où ils pourraient tenter avec chance de succès la pieuse entreprise, dont il lès félicita d’avoir eu l’idée.

Ceux-là regagnèrent, au moins eh partie, le pays d’où ils étaient partis; eh partie, dis-je, car il est évident que les fatigues, les privations durent en faire périr beaucoup dans le voyage.

Quant aux autres, ils atteignirent Marseille. «Dans leurs rangs s’étaient glissés un certain nombre de gens sans aveu qui, profitant de la confiance de ces jeunes esprits, s’attachaient à les dépouiller, et durent nécessairement être pour une bonne part dans la funeste aventure qui les attendait.

Comme, les enfants persistaient dans leur projet de s’embarquer, ils s’abouchèrent avec deux hommes qui, se disant animés du même zèle qu’eux, leur offrirent de les transporter, sur leurs navires, sans stipuler d’autre salaire que le plaisir d’être agréables à Dieu.

En de telles conditions, Je marché était facile à conclure. Les deux hommes, nommés Porco et Ferré, gréèrent sept vaisseaux, sur lesquels les enfants montèrent. Et l’on mit à la voile: Trois jours plus tard, dans les eaux de la Sardaigne, une tempête horrible assaillit la flottille. Deux vàisseaux périrent, corps et biens, en vue de l’ile Saint-Pierre, devant Cagliari.

Ici la tradition rapporte que la mer ayant rejeté en grand nombre sur le rivâge de cette île les cadavres des enfants, le pape ordonna de les inhumer dans une église qu’il fonda, en la plaçant sous le vocable des 'Nouveaux Innocents. Au xve siècle, on montrait encore cette église aux étrangers.

Cinq vaisseaux cependant avaient pu continuer leur route et gagner les côtes d’Égypte:

On jeta l’ancre dans le port d’ Alexandrie. Alors Porco et Ferré firent débarquer les jeunes Croisés, mais pour les mener comme esclaves au marché, où ils les vendirent contre beaux deniers comptants à - des princes et à des marchands sarrazins.

Est-il besoin de noter qu’en ce temps-là le commerce d’hommes se faisait ouvertement dans ces parages?

Un seul calife, qui- avait d’ailleurs habité la France dont il parlait la langue, acheta quatre cents de ces malheureux enfants, qui, chez lui du moins, furent traités avec une déférence relative. La plupart des autres eurent à subir delà part de leurs maîtres toutes sortes de mauvais traitements. Plusieurs même pé-