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pondant allemand de la maison Defert et Cie, venait en France pour y apprendre l’art de fabriquer du drap. M. Defert avait écrit à son correspondant de lui expédier le jeune homme, lui offrant l’hospitalité jusqu’à ce qu’il eût trouvé à s’installer convenablement. On était alors en famille ; on n’aurait pas mieux aimé que de jouir en paix des derniers jours que Marthe devait passer sous le toit paternel. Le jeune Allemand tombait mal : il s’était trop pressé. Néanmoins M. Defert n’eut pas un moment l’idée de lui en vouloir ; c’était chose convenue qu’il le recevrait, il le reçut donc ; d’ailleurs depuis quand peut-on rendre service aux gens sans se gêner un peu ? M. Karl fut présenté par M. Defert au reste de la famille. Quoiqu’il fût parfumé comme un marié de village, et que sa politesse eût quelque chose de trop empressé et de trop obséquieux qui gênait, il avait des yeux bleus si candides et des cheveux blonds si angéliques, qu’on le trouva charmant pour un Allemand.


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DANS L’EXTREME FAR WEST

AVENTURE D’UN ÉMIGRANT DANS LA COLOMBIE ANGLAISE.

CHAPITRE IX

WILLIAM’S CREEK (suite).

Ainsi nous travaillâmes tout l’été et une partie de l’automne, nous parvînmes à creuser un nouveau puits profond de cinquante pieds. La nature des couches traversées nous faisait espérer que nous approchions de la roche dans le voisinage de laquelle nous nous figurions qu’était cachée notre fortune ; mais nos provisions tiraient à leur fin, nos finances aussi, et nos vêtements n’étaient plus que des haillons. Les boutiquiers, inexorables, refusaient de nous faire crédit sur nos espérances : il ne nous restait donc qu’à abandonner notre claim jusqu’à la saison prochaine et à remettre à cette époque éloignée la réalisation de nos rêves d’or.

Laissant donc ce qui nous restait de provisions au vieux Jake, qui ne voulait pas quitter le claim et entendait passer l’hiver à trapper les martres, Pat et moi retournâmes de nouveau nos pas vers la civilisation, le cœur plus gros que la bourse, mais peu fâchés, après tout, de quitter notre désert pour six mois de séjour dans des lieux plus agréables.

Nous partîmes à pied, portant chacun une paire de couvertures sur nos épaules, et quelques jours de vivres. C’est en vain que nous demandions du travail à toutes les maisons que nous rencontrions le long de la route ; toute chance d’en obtenir avait été depuis longtemps saisie par quelques-uns des mineurs ruinés qui nous avaient précédés sur ce triste chemin.

Au bout de quelques jours, nous fûmes réduits, pour toute nourriture, aux navets que nous pouvions ramasser dans les champs avoisinant les maisons, échelonnées sur la route à des distances de dix ou quinze milles. Nous n’étions ni gras ni fiers quand nous arrivâmes à Fort Yale. Là encore nous essayâmes d’obtenir du travail, mais sans le moindre succès. À bout de forces et d’énergie, nous fîmes encore quatre milles pour gagner Emery’s Bar, où se trouve la station des bateaux à vapeur, nous proposant de solliciter de l’un des capitaines un passage gratuit pour Victoria.

Arrivés à Emery’s Bar, nous allumâmes un feu sur le bord d’un petit plateau et étendîmes nos couvertures, dans l’espérance de faire servir le sommeil à remplacer le souper. Un bateau était attendu le lendemain matin, et comme, à cette époque de l’année, il ne pouvait remonter jusqu’à Yale, nous entretenions le vague espoir de gagner un bon déjeuner à travailler au déchargement du bateau.

Nous fumions notre pipe, ayant encore, par bonheur, un peu de tabac, lorsque soudain j’entendis un rire joyeux partir de la rive, au-dessous de nous, pendant que mes narines, avec une finesse de perception très-explicable en pareille circonstance, humaient, portée sur la brise du soir, une délicieuse odeur de lard grillé. Incapables de résister à une pareille attraction, Pat et moi bondîmes vers le fleuve et nous nous trouvâmes bientôt en présence du plus attachant spectacle que nous pussions rêver alors,—un feu pétillant et quatre personnes assises en rond, prenant leur part d’un bon souper de lard et de pain frais servi par terre sur une toile. Trois grandes barques étaient amarrées au rivage, tout près de là, et on avait établi près du feu une tente formée de voiles tendues sur des rames.

Un des quatre s’écria aussitôt : « Eh bien, mes enfants, nous ne savions pas avoir de si proches voisins ce soir. Asseyez-vous près du feu. Vous êtes sortis du bois aussi soudainement qu’un ours d’une tanière