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l’époque des hautes eaux, étaient alors à sec. Des hommes, en dépit des moustiques, y étaient occupés à faucher les foins. Pat fut envoyé comme messager, préalablement muni d’un voile de mousseline qui lui enveloppait la tête et le cou, et averti qu’il ne devait pas sortir ses mains de ses poches.

Conformément à ses instructions, Pat traversa la prairie au milieu d’un nuage ailé de moustiques qui bourdonnaient autour de lui et, dans leur vaine rage, s’efforçaient de percer ses habits d’épais velours de coton. Ayant fait sa commission, il revenait au bateau par le chemin le plus court, lorsqu’il rencontra un troupeau de bœufs espagnols. Un taureau ombrageux, apercevant sa chemise rouge, courut sur lui, suivi par le reste du bétail. Pat n’eut que le temps de gagner, en courant comme un fou, le bois qui longeait la rivière, et, pour respirer, il jeta le voile qui le protégeait contre les moustiques. Au sortir du bois, il tomba dans un marais où les bœufs se gardèrent bien de le suivre; mais lui-même ne s’en tira pas aisément, et, s’il échappa aux bœufs, il n’échappa point aux moustiques: il en était noir quand il sortit du marais.

Voyant les insectes voler autour de lui par milliers, nous lui criâmes de se tenir à l’écart et nous nous éloignâmes du bord: nous savions que si ces insectes gagnaient le canot, ils nous suivraient et qu’ils ne nous donneraient aucun repos.

«Et comment irai-je au bateau? demanda Pat.

—A la nage, pardieu! répliqua le capitaine.

—Mais, capitaine, je ne sais pas nager.

—Vous aurez donc à rester où vous êtes; car je n’entends pas être dévoré par ces enragés buveurs de sang.

—Alors il est sûr que je me noierai. Que faire? »

Je tirai un long aviron du bateau et le dirigeai vers Pat en tenant ferme la poignée. L’Irlandais, faisant appel à tout son courage et aiguillonné par les piqûres des insectes, plongea dans la rivière et, en remontant à la surface, saisit l’aviron à l’aide duquel nous le tirâmes à bord.

Nous ne nous arrêtâmes à New Westminster que le temps de faire quelques emplettes et de nous équiper pour la chasse et la pêche. Le soir du même jour nous atteignîmes l’embouchure du Fraser et nous arrêtâmes à Point Roberts, limite du territoire américain. Là, nous trouvâmes un matelot retiré, du nom de Joe, qui, en ajoutant aux revenus d’une petite exploitation agricole les produits de la chasse et de la pêche, menait une existence très-confortable. La place ne manquait point chez lui, ni le whiskey, et le gibier et le poisson ne coûtaient que la peine de les prendre. Nous pouvions donc, sans trop nous flatter, compter sur d’agréables loisirs après la saison de rudes labeurs que nous venions de passer.

A suivre.

R. B. Johnson

Traduit de l'anglaise par A. Talandier.


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LES CAUSERIES DU JEUDI

LE QUATRIÈME CENTENAIRE DE COPERNIC

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I


Au milieu du xvie siècle, la petite ville, aujourd'hui prussienne, de Frauenbourg, bâtie sur une éminence aux bords de la Vistule, était alors cité polonaise, siège épiscopal du diocèse de Warmia ou Ermeland.

Dans la journée du 24 mai 1543, il y avait a Frauenbourg une émotion a peu près générale. Les bonnes gens, qui 'se rencontraient n'avaient guère qu'un unique sujet d'entretien. Ils se groupaient inquiets, s'interrogeaient d'un air consterne.

« Eh bien que sait-on ? Comment va-t-il?

– Hélas mauvaises nouvelles il y a tout & craindre que le brave chanoine ne s'en relève pas. On désespère. Lui, si fort, si robuste jusqu'ici Voila qu'un simple coup de sang va peut-être le mettre en terre.

–Est-ce'possible! un si digne homme, une si belle âme

– Et, parait-il, une si forte tête

– Oui, on le dit, mais nous ne pouvons pas juger de ces choses nous autres, gens de petite instruction.

–Et pourquoi donc? Est-il, par exemple, nécessaire d'avoir étudie pour savoir qu'avant lui nous n'avions d'autre eau dans la ville que celle qu'on s'en allait péniblement chercher au bas du coteau, à la rivière; tandis qu'à présent, grâce à la machine qu'on a pu construire sur ses plans, il y a partout des fontaines qui coulent, même sur les points les plus élevés.

— Pour moi, je ne suis point savant, mais voici ce que j'ai vu 1 Ma mère, gravement malade, avait essayé de tous les médecins, qui disaient que c'en était fini d'elle. Elle alla consulter le bon chanoine Nicolas. Il'lui ordonna des remèdes. Elle guérit en peu de temps.

–Moi, je peux dire aussi qu'il m'a débarrassé d'une fièvre terrible, et j'ajoute qu'il me donnait des drogues préparées de ses mains, sans vouloir rien recevoir en retour, sachant que je n'étais pas riche. Il est si charitable!

–Écoutez un témoignage de sa charité et de son savoir. Quand mon fils fut obligé de quitter Je pays pour la milice, je pleurais, je me désolais. « Qu'avez vous ? me demanda-t-il un jour. Je lui contai ma peine. Alors sans rien dire, il emmena mon garçon il le fit asseoir devant lui, et sur un morceau de papier il en fit une image si ressemblante qu'on aurait cru le voir vivant. –Puis il dit à mon garçon: «Tiens,