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Le jour suivant, avec l’aide de nos compagnons, nous amenâmes notre chargement de gibier à la maison. Un des élans fut laissé à Joe. Les deux autres, chargés sur notre canot, furent transportés à New-Westminster, où nous les vendîmes 30 dollars (168 fr.) pièce, les bois étant des trophées de prix.

Quinze jours durant, nous jouîmes de cette délicieuse existence, ne faisant rien que pêcher, chasser, nous promener en canot, jusqu’à ce qu’enfin nos esprits aventureux s’échauffant de nouveau, nous résolûmes tous (à l’exception de Joe) de faire un petit voyage de découverte aux sources de la Squawmish, rivière qui se jette dans le golfe de Géorgie, à Burrard’s Inlet (baie de Burrard), près de l’embouchure du Fraser. Nous voulions savoir s’il y avait quelque chance d’y trouver de l’or. Aucun homme blanc n’avait encore visité ces lieux, et les Indiens passaient pour ne pas être animés d’intentions très-bienveillantes ; aussi d’assez vives émotions nous attendaient dans cette expédition.

A suivre.

R. B. Johnson

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MES PETITS SOUVENIRS

À PROPOS D’UN BLANC DE POULET

« Berthe, je t’en prie, pour me faire plaisir, »

Berthe baissa les yeux sur son assiette, fit une moue dédaigneuse et hocha mélancoliquement la tête.

De quoi s’agissait-il donc ? Tout simplement de manger ce très-beau blanc de poulet, que son père venait de faire tomber sur l’assiette de porcelaine transparente.

Berthe Darvin eut été une charmante fillette de treize ans si, malheureusement, elle n’avait pas eu une tendance à se trop complaire dans ses petites manies d’enfant gâte. Or il venait de lui en pousser une qui n’allait rien moins qu’à altérer sa santé : c’était celle de ne manger a ses repas que selon son caprice, et de s’amuser a émietter du pain et de gâteaux devant une table toujours abondamment servie. Cette manie était-elle née spontanément dans son petit cerveau oisif ? Lui avait-elle été suggérée par quelque dangereuse et vaniteuse petite amie ? Je ne pourrais le dire ; tout ce que je sais, c’est que Berthe admirait avant tout les teints diaphanes, et mangeait de moins en moins. Si bien qu’à l’âge ou le corps se développe, et dans une position de fortune qui permet une nourriture substantielle et même délicate, elle était maigre et décolorée, presque aussi décolorée et presque aussi chétive que la pauvre petite Célestine, qui était apprentie chez la couturière du quatrième, et qui passait, régulièrement, deux fois par jour devant les fenêtres du salon de Mme Darvin.

« Eh bien, Berthe, n’as-tu pas entendu ton père ? demanda Mme Darvin qui combattait vaillamment, mais sans succès la nouvelle lubie de sa fille.

Maman, je n’ai pas faim, répondit Berthe en faisant de gros yeux maussades à ce pauvre blanc de poulet qui dessinait un si bel angle aigu sur son assiette.

— C’est ton refrain, reprit Mme Darvin. Ah ma fille, il y a malheureusement des personnes qui sentent les atteintes de la faim et qui ne peuvent pas toujours la satisfaire.

—Vous croyez, maman ? dit Berthe en faisant tourner son assiette.

— Hélas, j’en suis sûre. Ce matin, Mme Louise ; qui est venue essayer mon peignoir, m’a beaucoup parle de son apprentie, cette jolie petite Célestine que nous rencontrons parfois dans l’escalier, qui répond si gentiment a ton bonjour. Il paraît qu’elle appartient a une famille des plus honnêtes, mais des plus misérables sa mère est malade ; son père est infirme et sans emploi, et elle a deux petits frères. Aussi, au fond de ce panier que Célestine porte à son bras, Mme Louise ne découvre le plus souvent que du pain sec.

— Et les pauvres n’aiment pas le pain sec peut être, maman ?

— Pas plus que toi, ma fille.

— Oh mère, je l’aime beaucoup, dit Berthe d’un air sentimental.

— Par esprit de contradiction, sans doute mais si tu n’avais tous les jours pour dîner que du pain sec comme Celestine, nous ne te verrions pas refuser de manger ce blanc de poulet.

— Ce n’est pas ma faute si je n’ai pas faim, maman ; et je ne demanderais pas mieux que de donner cela à Celestine.

Et Berthe piquait dédaigneusement de sa fourchette la viande placée devant elle.

Pauvre petite ! elle ferait une fois un boudiner, remarqua Mme Darvin.

— Eh bien ! maman, si je la lui portais, dit Berthe vivement, je sais où se trouve la cuisine de Mme Louise, et c’est là que Celestine dépose son panier ; permettez moi d’aller lui porter mon blanc de poulet.

— Et toi ? dit M. Darvin.

— Oh moi, papa, vous savez je n’ai pas faim. »

Sur ces paroles, ce refrain, comme disait sa mère, Berthe se leva, courut prendre une feuille de papier blanc, enveloppa le blanc de poulet, et souriant à son père et a sa mère qui la regardaient faire,’elle sortit rapidement du salon et monta d’un trait au quatrième étage.

Sur l’étroit palier carrelé s’ouvraient plusieurs modestes portes. ’

Berthe, qui marchait sur la pointe des pieds et retenait sa respiration, poussa l’une d’elles qui était entr’ouverte, et se trôna dans une cuisine fort pro-