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Page:Le journal de la jeunesse Volume I, 1873.djvu/215

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Les Braves Gens


CHAPITRE XXVII

Bataille de Coulmiers. — Commencement de la retraite.


L’hiver était venu, hiver cruel, impitoyable pour nos pauvres soldats, mal équipés, mal vêtus, mal nourris, accablés par la nouvelle des désastres épouvantables de l’armée du Rhin. On put voir alors quelles ressources d’abnégation, de constance, de vertu, trouve en elle-même cette race que la politique haineuse de nos ennemis affecte de trouver si amollie et si impuissante. On campait dans la neige, dans la boue, sur la terre gelée, sur le verglas ; et cependant on était gai, on avait foi dans l’avenir, on plaisantait encore au milieu de tant de maux.

À mesure que les temps devenaient plus rudes et que les privations et les dangers se multipliaient avec les étapes, Jean se raidissait contre la fatigue et le découragement. Plus d’une fois il avait donné du cœur à ses compagnons de misère par sa tenue irréprochable et son entrain de bon aloi.

Un jour qu’il s’agissait de coucher dans la boue, sans avoir mangé, quelques novices et même quelques vieux soldats murmuraient tout haut. Camille Loret dit à l’un des plus rétifs : « Tu vois ce petit là-bas, avec sa figure de demoiselle ?

— Oui, après ?

— Il a cent mille livres de rente, et on ne l’a pas encore entendu se plaindre une fois. »

L’autre avait grommelé dans sa barbe, mais il n’avait plus osé se plaindre tout haut. Le capitaine proposa à Jean les galons de caporal.

« Mais, mon capitaine, répondit Jean, je suis venu uniquement pour me battre et non pour chercher des grades.

— Très-bien, mais c’est un service à rendre.

— Alors j’accepte. »

Et voilà comment il était devenu caporal.

C’est en qualité de caporal qu’il assista à la bataille de Coulmiers.

Quand on lit dans un livre le récit d’une bataille, composé après coup et d’après les documents authentiques, on se figure volontiers que, sur un champ de bataille, chacun sait ce qu’il fait, où il va, et ce que font les autres. Rien de moins exact sur le terrain. Pour Jean, par exemple, voici ce que fut la bataille de Coulmiers. Une position prise dans un ravin peu profond, une pluie d’obus éclatant d’abord en arrière du ravin, puis dans le ravin même, et dont les éclats blessent ou tuent un certain nombre d’hommes ; un vif désir de sortir de là et d’aller en avant ; l’ordre de partir et de prendre un certain village que l’on distingue à peine dans la plaine ; la recommandation de ménager les cartouches et d’user de la baïonnette ; une course folle sur un terrain découvert, au milieu du sifflement des balles, du grondement des canons et du cri déchirant des mitrailleuses, des bourdonnements dans les oreilles, des cris de commandement, des camarades qui tombent la face contre terre et qui ne se relèvent plus ; un juron énergique de Léon Loret, qui prononce distinctement ces mots : « Hé, dites donc ! » et laisse tomber son fusil parce qu’il a le bras cassé ; le désir