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— Oui, il est ici ; mais calmez-vous, chère madame, il faudra qu’il soit préparé à vous voir. Il est encore très-faible, et la moindre émotion peut être dangereuse. »

Mme Defert consentit à se rasseoir.

Rassurée sur le compte de Jean, toutes ses inquiétudes se reportèrent sur Marthe.

« Et ma pauvre Marthe, qu’a-t-elle pu devenir au milieu de cette horrible guerre ! »

Le marquis sortit, et revint, cinq minutes après, accompagné d’une jeune servante.

« Voilà, dit la marquise, une jeune personne qui pourra vous donner des nouvelles. « Rien qu’à sa démarche, et sans voir son visage qui était encore caché dans l’ombre, Mme Defert reconnut Marthe, qui se jeta dans ses bras et la couvrit de baisers.

Les premiers mots de Jean, lorsqu’il avait pu parler, avaient été pour demander sœur Agnès qui devait se trouver à Vendôme. Le marquis avait obtenu de la supérieure qu’elle vînt soigner son frère. Pour ne pas attirer l’attention, elle avait pris le costume d’une servante. C’est elle qui depuis trois semaines soignait le pauvre lieutenant. Marthe avait écrit plusieurs fois à sa mère, mais ses lettres s’étaient perdues en chemin. « Mon malade dort, dit-elle à sa mère, il ne faut pas risquer de le réveiller, il a si grand besoin de sommeil ! Il vaut mieux attendre à demain pour le voir. »

Le lendemain, la mère fut enfin admise à embrasser son enfant. Il était bien pâle et bien amaigri, mais qu’il était beau ! et comme elle le trouva transfiguré par l’héroïsme et la souffrance ! Il ne fallait pas songer à le transporter à Châtillon. D’ailleurs, tout le pays était en proie aux Allemands, qui l’auraient fait prisonnier. Comme il était bien en sûreté dans la cachette où on l’avait mis, et qu’il restait confié aux soins de Marthe, Mme Defert, malgré son désir de rester près de lui, songea qu’on le pleurait encore à Châtillon ; elle eut hâte de partir pour porter aux siens la bonne nouvelle.

A suivre.

J. Girardin


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DANS L'EXTREME FAR WEST

CHAPITRE XV

NOUVELLES AVENTURES

Je revins m'établie pour l'hiver a Victoria. N'ayant que trop présent a l'esprit le souvenir de mes malheurs de l’année précédente, je résolus de lutter contre la mauvaise fortune; je m’empressai donc de me faire habiller à la dernière mode et d’élire domicile dans un des meilleurs hôtels de Victoria, où je me trouvai en compagnie d’un juge du territoire de Washington, d’un sénateur de l’Orégon, d’un rédacteur en chef d’un des journaux de la ville, et d’un de mes compatriotes qui était venu en Colombie pour coloniser et perdre son argent, sans parler de plusieurs membres de ma nouvelle profession sur laquelle il est inutile que j’insiste plus longuement. Je me contentai, pendant les premiers jours, d’écouter et de profiter de tout ce que j’entendais pour tracer avec soin ma propre ligne de conduite. Ce fut le rédacteur en chef que je résolus de gagner d’abord à mes projets. Je réussis à lui faire accepter une série d’articles suggérant la formation d’une compagnie pour l’application des machines à vapeur à l’exploitation des mines. J’espérais naturellement que notre claim serait le premier à en profiter.

Mes articles firent sensation, et bientôt je fus l’objet des attentions d’une foule de marchands et de spéculateurs. Une compagnie fut formée sous le nom de Cariboo Steam Machinery Company (Compagnies des machines à vapeur du Caribou), et mon nom fut des premiers sur la liste des directeurs. Je reçus, en outre, comme promoteur de l’affaire, des honoraires considérables en actions libérées que je m’empressai de partager avec le rédacteur en chef du journal, qui m’avait fourni le premier échelon de ma nouvelle fortune.

Je passai ainsi l’hiver, me berçant des plus flatteuses espérances. Quand le printemps arriva, nous avions une longue liste d’actionnaires. Nous importâmes un grand nombre de machines de San-Francisco, nous en fîmes construire d’autres à Victoria, et prîmes nos arrangements pour les faire transporter aux mines. L’idée était excellente, comme des milliers d’autres; mais nous n’avions pas tenu suffisamment compte des difficultés d’une telle entreprise. D’abord, il nous fallut payer des prix excessifs pour le transport; le printemps fut tardif; les routes, qui n’avaient été tracées que l’été précédent, furent mises hors de service en plusieurs endroits par les inondations. Bref, quand nos machines arrivèrent aux mines, la saison était fort avancée et les prix que nous étions obligés de demander pour leur usage étaient trop élevés pour que les mineurs pussent nous les payer. Il fallut les vendre à perte, et notre compagnie fit faillite.