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LE JOURNAL DE LA JEUNESSE.

LE VIOLONEUX DE LA SAPINIERE

CHAPITRE V

Ambroise devient ambitieux.

Il y avait, à une bonne demi-lieue de la Sapinière, entre deux petits endroits qu’on appelle le Furet et Pied-Doré, une grotte située sur les bords de l’Yon. On ne savait pas depuis quand elle existait : on y lisait, gravées dans la pierre avec la pointe d’un couteau, des dates du temps des anciennes guerres. On disait que les chouans s’y étaient cachés quand les bleus les poursuivaient ; et de fait, elle était si bien abritée qu’il fallait la connaître pour la trouver. Au-dessus, le terrain formait une pente gazonnée qui s’abaissait un peu vers la rivière ; c’était un terrain sans maître où les ajoncs et les bruyères croissaient à l’aise. L’ouverture de la grotte était tournée vers Il Yon, assez large et profond à cet endroit, et entre la grotte et le bord de l’eau il n’y avait qu’un étroit sentier et quelques vieux saules qui trempaient leurs racines dans l’eau. De ce côté, la rive était fort élevée ; de l’autre côté de l’Yon, au contraire, il n’y avait que des prairies plates et basses d’où l’on ne pouvait apercevoir l’entrée de la grotte, cachée par le feuillage des saules. La grotte était profonde et semée d’un sable sec et fin. Comme elle était éloignée de toute habitation et que les gens du pays n’avaient plus aucune raison pour se cacher, elle était depuis longtemps complètement abandonnée.

Cependant, ce même mercredi des Cendres où Julien Tarnaud avait si tristement enterré le carnaval, un petit garçon traversa le village en courant, descendit la prairie jusqu’au bord de l’Yon, prit le sentier qui longeait la rive, atteignit la rangée de saules et entra dans la grotte. Là il s’assit sur une pierre et s’occupa de défaire un paquet assez volumineux qu’il avait apporté et qu’il tenait avec toutes sortes de précautions. On aurait dit qu’il déshabillait une poupée précieuse. Il défit les cordons qui serraient la coulisse d’un sac de serge verte, l’ouvrit et en tira lentement et avec le plus grand soin. un violon et son archet ! Il les regarda quelque temps, hésitant, tâtonnant ; puis se levant résolument :

« Allons, il faut essayer, se dit-il : c’est le meilleur moyen de trouver. Je me rappelle bien comment le père me l’a fait tenir, un jour : sous mon menton, comme cela : c’est bien. Et puis le manche avec la main gauche, pour pouvoir remuer les doigts sur les cordes : c’est cela ! Je sais bien aussi comment on prend l’archet, comment on le tire et comment on le pousse : voilà !

Et il fit résonner les quatre cordes l’une après l’autre.

« Cela va très-bien ! s’écria-t-il enchanté. Oui, mais cela ne fait pas un air, il n’y a pas moyen de danser là-dessus. Il faut que je trouve le moyen de jouer des airs. C’est en posant les doigts sur les cordes, et puis en les relevant, que le père change le son du violon. Essayons. Ah ! voilà un autre son… et puis un autre. celui-ci est vilain. bon ! le voilà plus joli. Que je suis content ! c’est presque comme une chanson ! »

Et Ambroise (car c’était lui) sautait de joie. Il s’était fait tout un travail dans sa tête depuis le matin. Il