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Mademoiselle Léonide vint tendre ses deux mains au docteur.

LE VIOLONEUX DE LA SAPINIERE


CHAPITRE VII

Une nouvelle connaissance.


Or, le dimanche des Rameaux, au moment où le docteur Plisson et sa fille se mettaient à table pour déjeuner, Pélagie, qui arrivait de la cuisine portant une omelette toute fumante, s'arrêta court au milieu de la salle à manger sans poser son plat sur la table, et parut écouter quelque chose au loin.

« Qu'as-tu donc, Pélagie ? lui demanda en riant la petite Anne. On dirait que tu es dans le château de la Belle au bois dormant ; seulement je pense que, comme c'était un château de fée, les omelettes y sont restées chaudes. Donne-nous la nôtre, avant qu'elle refroidisse. »

Pélagie posa son omelette.

« Écoutez, monsieur, écoutez ! Qui est-ce qui peut nous arriver? Il n'y a personne dans le pays pour faire claquer un fouet comme cela. »

Anne sauta à bas de sa chaise et courut à la fenêtre. Les claquements du fouet accompagnaient le roulement d'une légère carriole traînée par un tout petit cheval noir à longue queue et à longue crinière, comme on en trouve à l'île d'Yeu et dans quelques autres îles de l'Océan. Le petit cheval allait très-vite : pourtant, sur un : « Ho ! Diablotin ! » dit avec autorité par la personne qui conduisait la carriole, il s'arrêta net, en secouant sa crinière, devant la porte du docteur.

« Mlle Léonide ! » s'écrièrent à la fois M. Plisson, Anne et Pélagie. El Mlle Léonide, car c'était bien elle, descendit lestement de sa voiture et v int tendre ses deux mains au docteur, qui était accouru au-devant d'elle.

« Mon cher ami ! je suis heureuse de vous revoir, quoique. enfin ! la vie est faite pour autre chose que pour pleurer. Voilà Anne : comme elle a grandi! tout le portrait de sa mère. Pauvre femme! qui m'aurait dit, quand je suis partie il y a quatre ans, que je ne la retrouverais plus à mon retour! c'est comme ma mère, à moi!. moi qui travaillais loin d'elle pour la faire vivre, et qui soignais une autre malade, pendant qu'elle dépérissait ici. Et voilà! ma malade est morte, elle m'a légué une rente de 3000 francs, et j'allais revenir, toute joyeuse, retrouver ma mère et ne plus la quitter, quand j'ai reçu la triste nouvelle. J'ai cru que j'en mourrais de chagrin : pensez donc, s'imaginer qu'on va enrichir sa mère, la rendre heureuse, l'aimer à son aise, et apprendre tout à coup qu'elle est morte ! J'en ai fait une maladie. On m'a guérie, je ne sais pas pourquoi, et me voilà revenue au pays. Je ne le connais presque plus, mon cher pays, depuis tant d'années que je l'ai quitté; mais je pense qu'il doit y avoir quelque chose à y faire, de plus utile que de se lamenter Pour le moment, je suis venue vous demander à déjeuner. Pélagie, je vous confie Diablotin, ayz-en soin : c'est un bon petit cheval, il va comme le vent. Anne, je te ferai monter dessus si tu es bien sage.

— Monter dessus! grommela Pélagie en emmenant Diablotin; monter dessus, pour se faire casser a tête ! il n'y a pas de risque que je permette cela ! »

Mlle Léonide Brandy était une grande femme d'envi-