Page:Le journal de la jeunesse Volume I, 1873.djvu/377

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jouer; mais si je fais danser aussi bien que lui, voulez-vous me prendre à sa place?

— Toi ! s'écrièrent toutes les voix à la fois.

— Il est fou ! dit la mère en haussant les épaules.

— Est-ce qu'il est bon à quelque chose ! dit Louis qui venait d'entrer.

— Toi, Louis, je ne me moque pas de toi parce que tu ne sais pas jouer du violon. Retourne à ta charrue : chacun son métier. Et vous autres, écoutez un peu! »

L'enfant alla à l'armoire, prit le violon, le sortit de son sac, le plaça sous son menton. Le père s'était mis sur son séant et le regardait.

« C'est qu'il le tient bien! » s'écria-t-il.

Ambroise prit l'archet, le posa sur les cordes.

« Voulez-vous une valse, une polka? »

Et il joua avec entrain, avec force, s'animant comme s'il avait eu des danseurs devant lui et qu'il eût voulu les enlever au bout de son archet. Puis ce fut le tour du quadrille : alors il se surpassa. Comme un vrai ménétrier, frappant la terre du pied pour battre la mesure, criant de sa voix aigrelette : « En avant deux ! chassez! balancez! en avant les quatre-z-autres ! » il arriva à la fin de sa contredanse, qu'il termina par un formidable galop, rouge comme une pivoine et ruisselant de sueur, mais triomphant et sa cause gagnée. Il le vit aux applaudissements de son auditoire et à la joie de son père qui s'écriait :

« Et l'on voulait l'empêcher d'être ménétrier : mais il avait ça dans le sang, tout comme moi ! »

Les gens des villages étaient enchantés : avoir un violoneux de douze ans, c'était de quoi attirer du monde aux préveils. Ils engagèrent immédiatement Ambroise sans tenir compte des imperfections de son jeu. Alors sa mère le prit par la tête et l'embrassa. C'était par intérêt ; mais l'enfant n'y songea pas, tant il était heureux, et ce lui fut une joie ajoutée à tant d'autres.

Le lendemain, avant le jour, la Tarnaude partit avec lui pour la ville, où elle le fit habiller à neuf de la tête aux pieds pour la première fois de sa vie.

Ce fut ainsi qu'il débuta dans la vie d'artiste, le dimanche de Pâques, entre la messe et les vêpres, au grand préveil de Saint-Florent-des-Bois. Il était radieux; la terre ne le portait pas, tant il se sentait fier de jouer du violon, de remplacer son père, et d'avoir un chapeau ciré tout neuf, encore couvert de sa coiffe de papier, un pantalon acheté à profit, que ses bretelles lui faisaient monter jusqu'au milieu du dos, une grande veste, un gilet à carreaux et une superbe cravate à raies vertes et rouges, qui formait un large nœud entre les pointes empesées de son col de chemise.

Le petit violoneux joua tout le jour et toute la soirée, juché sur son tonneau; il dîna bien, mais, se souvenant de son père, il refusa de boire ; et quand la nuit