Page:Le journal de la jeunesse Volume I, 1873.djvu/420

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Le maître se lève à la hâte et met les élèves et les garçons de service en campagne pour découvrir le fugitif.

On l'aperçoit bientôt étendu dans une gouttière, une jambe pendant au-dessus de la corniche, qui domine d'une hauteur de quatre étages le sol de la cour.

Sur le conseil de M. Bucchini, les élèves s'empressent de descendre leurs matelas dans la cour, et dans le plus profond silence, de peur de réveiller leur" malheureux camarade suspendu à 30 mètres au dessus du sol, ils'entassent au-dessous de la gouttière toutes les literies du dortoir.

Guidé par les garçons, M. Bucchini. arrive, dans les combles, près d'une ouverture percée dans le toit; d'où le malheureux somnambule s'est laissé glisser jusqu'à la gouttière, pour' aller ensuite, en suivant un chenal étroit, se coucher à l'autre bout du bâtiment, la moitié du corps suspendue dans le vide.

Il faut, pour sauver le malheureux qui dort au dessus de l'abîme, suivre le même chemin, se laisser glisser comme lui sur la pointe du toit, au risque de rouler au delà de la gouttière dans le vide, suivre debout le chemin étroit qui- longe l'abîme et aller arracher à la mort le pauvre enfant qui, à son réveil, peut se débattre et entraîner avec lui son sauveur dans une chute mortelle.

Le brave maître d'études, qui a conservé tout son sang-froid, songe que dans quelques minutes la cloche de Saint-Étienne va sonner Y Angélus, réveiller peut être le somnambule et causer un effroyable malheur.

« Y a-t-il quelqu'un, demande-t-il, qui soit sûr de lui et qui veuille tenter, de sauver le malheureux enfant d'une mort certaine? »

On se tait.

M. Bucchini n'hésite pas; on le voit descendre le long du toit et suivre avec précaution le sentier périlleux il arrive auprès' de son élève, se penche sur lui, le saisit fortement je l'appelle, le réveille peu à peu, le rassure, le soutient et par la même route le ramène et le sauve.

Les élèves de l'étude ont voulu reconnaître ce dévouement ils ont spontanément offert à leur maître une splendide médaille portant d'un côté cette inscription:

« A M. Bucchini, qui a sauvé la vie d'un de nos camarades, au péril de la sienne, ses élèves reconnaissants, » et de l'autre côté, les noms des donateurs.

Le conseil d'administration de Sainte-Barbe, sur la proposition du directeur, a voulu, de son côté reconnaître le dévouement admirable de M. Bucchini.

Il faut espérer que le gouvernement connaîtra et récompensera à son tour ce bel acte de dévouement. Ce sera pour lui une belle occasion d'honorer et d'encourager ce corps de maîtres d'études qui mérite en général mieux que ce que le monde lui donne.

______________



COMMENT SE FAIT UNE AIGUILLE
_____

« Oh, ce n'est rien, ce n'est qu'une aiguille! » disait la petite Marie à son frère Georges, qui accroupi sous la table, cherchait l'aiguille qu'elle venait de laisser-tomber.

M. Deville, qui lisait son journal assis dans, son fauteuil, releva la tête en entendant cette exclamation.

« Ce n'est qu'une aiguille dit-il en s'adressant à Marie si fu savais combien il a fallu de soin et de patience pour faire cette aiguille, tu n'en parlerais pas si légèrement. Combien penses-tu qu'il' faille d'ouvriers pour faire une seule aiguille?

– Je n'en sais rien, répondit Marie, mais il me semble qu'un, tout au plus deux, doivent suffire.

– Eh bien, tu te trompes, car si l'on compte depuis la fabrication du fil d'acier jusqu'au pliage des petits paquets renfermant les aiguilles prêtes à être livrées au commerce, chacun de ces délicats petits outils passe en moyenne dans les mains de cent vingt ouvriers.

—Oh je t'en prie, père, s'écria Georges, expliqué nous comment il se fait qu'une chose si insignifiante demande tant de travail.

—Je veux bien, répondit M. Deville, mais laissez moi vous dire d'abord que l'aiguille, loin d'être un objet insignifiant, est un des plus importants instruments que le génie de l'homme ait créés et un de ceux qui l'ont*le plus aidé à s'élever au-dessus de la brute. N'est-ce pas elle qui lui permet d'assembler sous forme de vêtements les étoffes dont il n'aurait pu autrement que s'envelopper d'une manière imparfaite? Et que de broderies délicates, que de choses charmantes sortent de ce léger outil, qui fournit en outre le "travail et le pain quotidien à tant de pauvres ouvrières!

» La première partie de la fabrication des aiguilles est l'étirage du fil de fer. Le fabricant achète les barres de fer brutes et il les étire, en les faisant passer à travers des plaques d'acier percées de trous de t plus en plus petits, jusqu'à ce que la barre se soit transformée' en un fil du diamètre voulu, que l'on enroule autour d'un tambour.

» Les rouleaux de fil de fer sont alors soigneusement assortis comme dimensions, puis on les coupe en deux, de manière à obtenir deux faisceaux d'une égale longueur.

» L'ouvrier prenant un de ces faisceaux, le présente à une machine armée de ciseaux mus par la vapeur, qui coupent le fil en tronçons d'une longueur correspondant à deux aiguilles. Vous vous ferez une idée de la puissance de cette machine, lorsque vous saurez qu'en une journée de dix heures elle peut apprêter 800 000 aiguilles.

– Comment, interrompit Marie, 800 000 aiguilles en une journée!